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l’assurance donnée par lui au sultan que l’Angleterre soutiendrait la Turquie, qui amenait cette tempête orientale.

Il y eut alors un moment singulier dans l’histoire de l’Europe. L’annonce de la guerre, immédiatement, réveilla toutes les traditions nationales, toutes les ambitions des partis. L’opinion anglaise réclamait une intervention immédiate en faveur des Turcs ; en France, des républicains, comme Quinet, s’indignaient qu’on n’intervînt pas pour dégager le Danube des armées russes ; et les catholiques se réjouissaient à l’avance « du conflit préparé par la Providence pour le triomphe de la civilisation et du christianisme ». Or, juste à ce moment, par des efforts désespérés, les diplomates européens, les Français en tête, tentaient encore une fois de prévenir la guerre ! Comme s’ils avaient pressenti vaguement les conséquences incalculables qu’elle allait avoir sur l’avenir de l’Europe.

Une fois encore, ils amènent la Russie, par l’intermédiaire de l’Autriche à retirer son ultimatum, à accepter de nouveau la note proposée à MenzikofT, le 13 mai. Mais c’est en vain que, forts de cette acceptation, ils essaient maintenant de la faire accepter par la Porte : Reschid-Pacha décide son maître à tenir bon. Le fanatisme turc est déchaîné ; les ulémas ont prêché la guerre sainte : l’armée est réorganisée. Et malgré les déclarations publiques de son gouvernement, malgré le travail pacifique de toute l’Europe, sir Redcliffe, « ce diplomate malfaisant » comme l’appelle Thouvenel, affirme que l’Angleterre soutiendra la Turquie. La Turquie revendique donc son droit de protéger elle-même le culte chrétien dans tous ses États.

Alors, en octobre 1853, la guerre éclate. La Russie réclame maintenant la protection de tous les sujets grecs. Dès le début de la guerre, les flottes française et anglaise, comme l’avait prévu sir Redcliffe, viennent protéger Constantinople. La France et l’Angleterre ne peuvent laisser porter atteinte à l’intégrité de l’Empire ottoman ! Le 30 novembre, la flotte turque est détruite à Sinope par la flotte russe. L’opinion européenne s’émeut de cette destruction qui témoigne selon elle de l’intention de la Russie d’anéantir la puissance turque. Napoléon III se juge atteint dans son honneur. Le 20 décembre, l’ordre est donné aux deux flottes anglaise et française de pénétrer dans la mer Noire. Et, après quelques semaines d’ultimes négociations, au début de mars 1854, la guerre est déclarée à la Russie par la France et par l’Angleterre. En mai 1854, 60.000 Anglo-Français débarquent à Gallipoli. Il y avait quatre ans exactement, que Louis-Napoléon avait posé la question des Lieux-Saints. Il y avait deux ans que la diplomatie de Napoléon III, prise entre le fanatisme russe, déchaîné par sa faute, et les ambitions anglaises, essayait de se tirer par une paix honorable, glorieuse même, mais sans guerre, du guêpier où l’avaient jeté les ambitions catholiques. Mais si les diplomates français, qui l’entouraient, connaissaient les risques de cette guerre et hésitaient, l’opinion publique française, abaissée et avilie par tout le système impérial, dans son ensemble, l’approuvait. Les Français en étaient réduits