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et celle-ci lui donna secrètement l’assurance qu’elle les annulait. Il y avait exactement un mois qu’elle les avait données à la France (mars 1852).

En septembre 1853, Latins et Grecs, en Terre-Sainte, s’autorisant des concessions contradictoires de la Turquie, faillirent en venir aux mains. Mais c’est aux Latins que le commissaire turc sembla donner raison.

Alors, le 1er Mars 1852, croyant pouvoir compter sur la neutralité bienveillante du ministère tory en Angleterre et au besoin sur l’aide de l’Autriche, la Russie fit un éclat. Un ambassadeur extraordinaire, le prince-amiral Menzikoff débarqua à Constantinople, en grand appareil, au milieu des acclamations de tous les Grecs qui semblaient venir saluer en lui le tzar libérateur. Parlant en maître aux Turcs atterrés, il renversait le ministre coupable d’avoir trompé la Russie, Fuad-Paeha, et bientôt présentait au nouveau ministre, le traité qui devait placer officiellement tous les chrétiens grecs sous la protection de la Russie (31 mars 1853).

Jusqu’alors, jusqu’à cet éclat de Menzikoff, le gouvernement de Napoléon III avait cru la paix possible, et il avait même manifesté son intention de faire des concessions pour la maintenir. Dans les conseils du prince, autour du sage ministre des affaires étrangères qu’était M. Drouin de Lhuys, on trouvait les fanfares des journaux catholiques ridicules, et l’on niait l’intention de conquérir Jérusalem ou de chercher querelle à la Russie sur la question des Lieux-Saints. L’empereur aurait bien voulu donner à ses amis catholiques une apparence de gloire, par des ententes diplomatiques. Mais il ne pouvait se résigner à la guerre ; la promesse de l’Empire pacifique était encore trop récente.

. Et cependant pouvait-il ne pas répondre au défi de Nicolas Ier ? Lui, l’héritier de la tradition napoléonienne, pouvait-il subir un semblable affront ? Un Napoléon pouvait-il laisser porter atteinte à l’honneur du nom français sans perdre du même coup sa popularité ? La nation voulait sans doute l’ordre intérieur et la paix, mais aussi une situation digne et glorieuse à l’extérieur. Napoléon donna l’ordre à sa flotte de quitter Toulon, le 20 mars 1853, et d’aller attendre les événements dans les eaux de Salamine.

Cependant, satisfait d’avoir manifesté sa force, il laissait ses ministres négocier à Constantinople, préparer l’apaisement, si possible. Et de fait, quelques semaines plus tard, le 18 mai, après cette alerte, la paix semblait assurée : le sultan d’une part restreignait un peu les concessions faites aux Latins, — et de l’autre se bornait à garantir le libre exercice de la religion grecque dans l’Empire. Latins et orthodoxes avaient fait des concessions.

Trois jours plus tard, tout était rompu. Le ministre conciliateur était renversé ; Reschid-Pacha, parvenu au pouvoir, ne voulait faire aucune concession. Menzikoff, furieux, repartait pour Pétersbourg. Le 31 mai, Nicolas Ier envoyait un ultimatum. C’étaient les intrigues savantes de l’ambassadeur anglais, lord Stratford Redcliffe, obstiné à combattre l’influence russe, c’était