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pourvu comme lui, d’une liste civile de vingt-cinq millions, il lui faut des nobles, de hauts dignitaires, une cour, en un mot : maréchaux de France, grand maréchal du palais, grand chambellan, grand écuyer, grand veneur, grand aumônier auréolent sa puissance. La grâce s’ajoute à la splendeur. L’Empereur à défaut d’une Hohenzollern ou d’une Wasa, qu’on lui a refusée, s’est marié à Mlle Eugénie de Montijo, d’une famille noble d’Espagne. L’Impératrice est belle ; elle sait recevoir, elle sait tenir cour. Il lui manque, pour devenir populaire, d’être un peu moins ultramontaine. Mais ce n’est point à cette heure qu’on le lui demandera. Les fêtes tiennent l’opinion en haleine : pendant l’hiver de 1853 et au printemps de 1854, leur faste défraie les journalistes, à court de copie. En 1854, elles se renouvellent, et toujours. Quelques-uns murmurent sans doute. Est-ce bien le moment ? La guerre ? Le choléra ? Les inondations ? Oublie-t-on tous ces deuils ? — Le Moniteur se charge de leur répondre ; et l’argument a fait fortune : « La dépense d’un grand bal retombe comme une pluie d’or sur toutes les industries ». Les couturiers, les décorateurs, les jardiniers rivalisent et même concourent : les hôtes exotiques affluent aux Tuileries, pour le plus grand étonnement des spectateurs ou des lecteurs du Moniteur. Le mouvement est donné : dans toutes les préfectures, on danse, on dîne. Et la « société », en province, regrettera longtemps ce temps où l’on dansait. Les vrais aristocrates ont beau rire de la raideur gourmée ou du ton de cette cour : leurs critiques ne sortent point de leurs salons. L’opinion s’amuse : il suffit.

Mais, malgré leur renouvellement, les fêtes finiraient par ennuyer, il faut que l’Empereur donne aux Français une satisfaction dernière. il faut qu’il leur donne ce qu’ils réclament depuis un siècle, ce que Louis-Philippe n’a pas su leur donner, ce qu’ils attendent d’un Napoléon : la gloire extérieure, les satisfactions de l’amour-propre national.

L’Empereur aurait bien voulu leur apporter une adhésion unanime des grandes nations au Coup d’État ; et il avait rêvé de se faire sacrer, lui aussi, à Paris, par le pape. Ces deux satisfactions lui ont été refusées. Du moins, les ambitions cléricales lui ont fourni une occasion de gloire ; et les événements le servant, il est apparu enfin, pour la plus grande gloire de la nation française, comme l’arbitre de l’Europe. La politique extérieure a joué, dans les destinées du second Empire, un rôle trop important, pour que nous négligions ses débuts.


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C’est la politique extérieure du parti catholique qui a fourni au Second Empire une première occasion d’action. Le nouvel Empereur pouvait rêver in petto de l’avenir des nationalités européennes. À l’heure où il montait sur le trône, à l’heure où les divers États soupçonneux, inquiets, hésitaient à le reconnaître et ne le reconnaissaient qu’en rechignant, il importait qu’il ne se compromît pas. Il avait proclamé l’Empire pacifique : mais il fallait donner