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68.761. Mais il faut voir ce qui se cachait sons ces chiffres ; il faut discerner la lente révolution que l’Église accomplissait.

En 1850, on comptait 50.267 écoles laïques (publiques et privées) et 10.312 écoles congréganistes ; en 1803, il y avait 51.555 écoles laïques et 17.206 écoles congréganistes. Ainsi, tandis que le nombre des écoles laïques demeurait stationnaire, ou à peu près, le nombre des écoles congréganistes augmentait dans des proportions considérables. A quoi tenait cette augmentation ? D’une part, sans doute, au développement des écoles de filles qui presque toutes étaient confiées aux sœurs, et, dans certains départements, forcément, les maîtresses laïques faisant défaut. Mais aussi, à la faveur de quelques dispositions rédigées pour elle, l’Église menait une ardente campagne pour « ramener au Christ toutes les jeunes âmes », pour s’emparer encore une fois des consciences. Aux termes de la loi de 1850, du décret du 4 mars 1852 et de la loi du 14 juin 1854, les communes, en cas de vacance dans une école publique, avaient le droit de faire connaître leur désir d’avoir un laïque ou un congréganiste. Or, la Congrégation ne meurt pas. Dans l’école congréganiste, où le supérieur, et non l’administration, nommait les maîtres, il n’y avait presque jamais de vacance : le maître malade ou compromis était rapidement remplacé. Chaque fois, au contraire, qu’un instituteur mourait ou prenait sa retraite ou était révoqué, la Congrégation mettait en mouvement toutes les influences, faisait marcher châtelain, maire, curé et bedeaux, et emportait le village. Bien mieux, sous un régime de large tolérance, les Frères des Écoles chrétiennes ouvraient partout leurs écoles, surtout dans les centres industriels, dans les pays de fabriques, où les industriels souvent les appelaient et favorisaient leur établissement, pour endormir les révoltes ouvrières. La facilité qu’ils avaient de prendre des adjoints permettait la prospérité indéfinie de leurs Écoles. De 1850 à 1803, les écoles laïques (publiques et libres) avaient gagné 376,080 élèves ; les écoles congréganistes 588.000.

La prospérité des Congrégations allait de pair avec celle de leur enseignement. En 1848, le nombre des frères de la doctrine chrétienne était de 3.090 ; en 1805, il s’élevait à 7.720. Le nombre des sœurs n’avait pas augmenté moins rapidement ; de 1839 à 1848, elles avaient pu ouvrir en moyenne 300 écoles par an ; de 1849 à 1857, elles en ouvraient 390.

La loi de 1850 portait donc tous les fruits que le parti catholique en attendait ; les « affreux petits rhéteurs », les instituteurs à tendances républicaines ou socialistes, les émissaires de la Révolution étaient boutés hors des villages et des grands centres industriels. L’Église triomphante assurait le loyalisme du peuple et sa résignation.

Ainsi se complétait, par cet asservissement des masses populaires, le système de l’Empire : système de compression et de flatterie tout à la fois. Les intérêts matériels étaient satisfaits, dans la mesures du possible, c’est-à-dire dans la mesure où le gouvernement le pouvait ; les esprits étaient systématiquement