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quelques concessions faites. Les ouvriers de Paris accueillirent assez mal la loi ; les industriels, n’en ayant plus la garde, renoncèrent à l’exiger. En province, la majorité des patrons, changeant peu d’ouvriers, n’en sentait pas la nécessité.

Ne revenons pas sur les mesures quotidiennes qui frappèrent alors les militants ouvriers. Nous avons dit plus haut la condition des personnes, vis-à-vis de l’administration et de la police, pendant toute cette période. C’était parmi les ouvriers des villes que s’étaient recrutés depuis 1830 les groupes républicains et socialistes : ils étaient donc plus étroitement surveillés que toute autre classe. Le gouvernement impérial veillait même sur leur moralité, sur leurs idées. Ce fut le temps où le procureur général défendit au Siècle de continuer un feuilleton, qui, par des descriptions d’orgies, pouvait exciter les pauvres contre les riches, le temps où un ouvrier, un peu monté, et menaçant son concierge d’« un nouveau 93, où l’on pendrait les propriétaires, » se voyait infliger quatre mois de prison, en dépit des bons témoignages de son patron.

Mais ces petits faits, qui révoltaient çà et là les consciences républicaines, ne trouvaient point de répercussion dans la masse indifférente, occupée des grands travaux, amusée par toute la vie du Paris nouveau, reconnaissante à l’Empereur, à l’Impératrice de leur charité, de leur bienveillance, incapable encore une fois de comprendre ceux qui rêvaient d’un régime plus juste, incapable de vouloir de nouveau avec eux sa propre émancipation.

Au demeurant, le fidèle allié de l’Empereur, le clergé, mettait à son service tous les moyens dont il disposait pour asservir les esprits, pour donner à César et au Christ tout à la fois des serviteurs obéissants. Le prince-président avait dit à Bordeaux : « Je veux conquérir à la religion, à la morale, à l’aisance, cette partie encore si nombreuse de la population, qui, au milieu d’un pays de foi et de croyance, connaît à peine les préceptes du Christ ». Ce fut le programme de l’enseignement primaire jusqu’au ministère Duruy. Lorsque, plus tard, celui-ci entreprit la rude tâche de réformer l’enseignement, la situation qu’il trouva après plusieurs années d’Empire autoritaire était lamentable : « des milliers de communes sans école de filles ; tous les hameaux sans école d’aucune sorte ; un grand nombre d’enfants écartés de renseignement par l’établissement d’un chiffre maximum d’admissibilités gratuites ; d’autres abrégeant l’écolage, au risque de ne rien apprendre d’utile ; point d’écoles d’adultes ; pas une bibliothèque de village ; au contingent annuel, plus de 27 pour 100 de totalement illettrés ; misérable condition des maîtres et des maîtresses ; 5.000 institutrices recevaient moins de 400 francs par an ; il y en avait dont le traitement était de 65 francs ; pas une n’avait droit à la retraite, pas un instituteur n’était assuré d’une retraite qui lui donnât un franc par jour ».

Les statistiques semblaient bien cependant attester un progrès sur les années précédentes. En 1850, on relevait 60.579 écoles primaires ; en 1863,