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lettres de gage, que la diversité des émissions faites par plusieurs banques aurait ralentie, le gouvernement songea à donner à l’institution un caractère d’entreprise d’État, au tout au moins placée sous le contrôle de l’État. Par décret du 10 Décembre 1852, la Banque foncière de Paris fui transformée en Crédit foncier de France et eut désormais le privilège des opérations de Crédit foncier pour la France entière ; elle fut autorisée à racheter les deux banques de Marseille et de Nevers, reçut une subvention de 10 millions, mais fut contrainte de prêter au taux de 5 0/0, intérêt et amortissement compris. In décret du 31 Décembre 1852 décida en outre que les lettres de gage ne seraient émises qu’après le visa du commissaire du gouvernement. Enfin, achevant cette transformation, le décret du 6 Juillet 1854 imposa au Crédit foncier un gouverneur et deux sous-gouverneurs nommés par l’Empereur. Ce fut, dès lors, comme la Banque de France, un établissement public lié à l’État. En 1854, il avait déjà prêté pour une cinquantaine de millions, surtout sur les biens-fonds urbains, et contribuait autant à la transformation des villes et au développement de l’industrie qu’à l’amélioration de l’agriculture.

Mais c’est surtout le Crédit mobilier qui, dans les premières années de l’Empire, aida à l’établissement et à la prospérité des entreprises industrielles ou commerciales. Jusqu’alors, les maisons de banque de Paris, Rotschild, Hottinguer, Mallet frères, etc. pratiquaient peu la commandite et bornaient leurs opérations aux prêts à court terme, à l’escompte ou à l’arbitrage. En novembre 1852, les frères Péreire, les Saint-Simoniens, fondèrent la Société générale de Crédit mobilier. Ce devait être à la fois une Société commanditaire, une banque de placement, de prêt et d’emprunt, et une banque d’émission. Avec ses ressources et son crédit, elle devait créer ou seconder de grandes entreprises, intervenir dans les emprunts publics ou dans les émissions des grandes Sociétés, émettre elle-même des obligations pour une valeur égale à dix fois son capital. Isaac Péreire aimait à célébrer Law, « l’homme de génie qui, par un immense essor donné aux affaires, révéla au monde les puissances de l’association ». Il avait, comme lui, l’illusion de la puissance illimitée du crédit ; et le Crédit mobilier devait sombrer comme la célèbre banque de l’Écossais.

Mais, dans les premières années de l’Empire, il joua un rôle immense. Il intervint dans l’établissement de la plupart des réseaux de chemins de fer, l’Est, le Grand Central, l’Ouest, le Midi, les Ardennes. Il commandita, en 1854, la Société de la rue de Rivoli ; il facilita la fusion des six Compagnies du gaz à Paris, leur prêta 10 millions et, par la haute influence de ses directeurs, leur fit accorder en seize jours, le monopole qui devait lier Paris pour un demi-siècle (juillet 1855). Il créa enfin la Compagnie maritime transatlantique, et, faisant franchir les frontières aux capitaux français, contribua à la création des chemins de fer du Nord de l’Espagne et des chemins de fer autrichiens. En trois ans, le Crédit mobilier apparaissait comme la plus