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saine et tranquille ». Le mot, on le sait, est de Guizot ; il pourrait être de M. de Morny.

Au demeurant, qu’était-ce que ce dernier ? Qu’étaient-ce que Fould, Magne, Billault, sinon des orléanistes de la deuxième génération, des orléanistes du ministère Guizot ? Fould, député de Tarbes en 1842 et soutien du ministère, n’avait-il pas des alors poussé aux grands travaux et à la satisfaction des intérêts matériels ? Magne, le protégé de Bugeaud, n’avait-il pas été le type du député-fonctionnaire, de l’administrateur homme d’affaires ? Billault, enfin, l’avocat d’Anoenis, ne s’était-il pas en 1847 rallié à Guizot ? Mais c’était M. de Morny surtout qui était le type accompli de cette deuxième génération politique de la monarchie de juillet. Élevé en exil, le fils du général Flahaut avait contracté les habitudes de la vie anglaise. Son activité industrielle, ses talents d’homme d’affaires, autant que son dandysme aristocratique, lui avaient acquis une autorité singulière dans la société parisienne. Brillant lancier, il s’était illustré à Constantine, mais à 28 ans, les fièvres l’avaient contraint de quitter l’armée. Il s’était fait industriel : il avait cultivé en Limagne d’immenses champs de betteraves, exploité des raffineries. A 31 ans il était député et se signalait comme un des orateurs les plus habiles de la Chambre. C’était lui qui avait sauvé Guizot lors de l’affaire Pritchard et Armand Marrast, furieux, l’avait même désigné déjà à cette occasion comme « le plus jeune et le plus chauve des satisfaits ».

Or, dès ce moment. M. de Morny soutenant le ministère Guizot préludait à la politique industrielle du second Empire. C’était cette politique qu’il avait formulée, pour ainsi dire par avance, dans un article de la Revue des Deux Mondes du 1er Janvier 1847. Impatient de « solutions pratiques », comme il disait, il déclarait qu’il était moins préoccupé de transformations sociales que de transformations industrielles, et il invitait les Français à se mettre à l’étude moins des réformes politiques, suscitées par des besoins factices, que des questions matérielles. Sachons entreprendre, concluait-il, en industrie, en commerce, en finance, toutes les réformes qui peuvent tendre au bien-être des masses. Et nous aurons plus fait pour le progrès que par les plus mirifiques réformes sociales. C’était cette doctrine, que les plus fidèles soutiens du ministère Guizot allaient pleinement réaliser après le Coup d’État.

Mais, pour cette politique, d’autres hommes encore allaient se faire les très zélés auxiliaires du nouveau pouvoir. Je veux parler des Saint-Simoniens. Si certains membres de l’École, aux diverses époques, avaient été républicains et démocrates, il faut rappeler que, dans l’ensemble, ils avaient toujours considéré la forme du gouvernement et les articles des Constitutions comme des questions secondaires. Ce qu’ils réclamaient avant tout, ce que leur organe, le Crédit, avait proposé dès 1849 comme le programme d’un gouvernement de progrès, c’était le développement des travaux publics, des chemins de fer, des canaux, c’était, pour assurer ces travaux, le développement