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de la monarchie de Juillet et sous la Deuxième République, c’est Montalembert, c’est M. de Falloux, qui vont la mener. Ils ont assisté, eux, à l’enfantement du nouveau régime ; ils y ont même fortement aidé. Ils croient pouvoir réclamer des gages.

A ces hommes, les acquêts de 1850 semblent insuffisants. Pour l’Église, ils veulent de nouvelles conquêtes. Du 2 Décembre 51 à Janvier 52, ils avaient espéré les obtenir du prince-président. C’était le temps où Montalembert, comme il disait « s’appelait lui-même à l’Élysée », le temps où il demandait que l’enseignement supérieur fut livré à l’Église, et que les articles organiques fussent abolis. Napoléon n’avait pas voulu capituler à ce point. Dans la mesure où le régime le permit, Montalembert tenta, par son opposition au Corps législatif ou dans la presse, d’émouvoir l’opinion, l’opinion catholique au moins, pour obtenir de nouvelles et sérieuses concessions aux intérêts catholiques. Mais « les hommes noirs s’étaient apprivoisés » selon le mot de M. de Persigny ; si les plus intelligents des évêques, si Dupanloup, Guibert semblaient disposés à suivre les conseils de Montalembert ou de M. de Falloux, Veuillot et l’Empire savaient les faire fléchir, en déchaînant contre eux, la masse des curés.

C’est à peine si par ses livres, par ses revues, comme le Correspondant, cette opposition pouvait se faire entendre du public catholique éclairé. Au Corps législatif, Montalembert s’usait en vain : lorsqu’il fut battu en 1857. il sortit sans regret de cette « cave ». — L’Empire, en effet, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, donnait satisfaction à la masse catholique d’alors. Et l’alliance semblait solide entre lui et cette masse. Par cette alliance, les monarchistes et les orléanistes avaient perdu toute force. Par elle, la haute société, sinon la vieille aristocratie, se ralliait au nouveau régime. Et elle ajoutait encore, s’il était possible, à la force du loyalisme paysan.

Tout cela, cependant, n’eût pas suffi : la tranquillité morale que les conservateurs de tout ordre pouvaient éprouver à voir l’accord du prince fort et de l’Église, la joie des dévots à recevoir l’Empereur au pied des autels ou des Pardons, même la propagande des curés de campagne, tout cela ne constituait pas les éléments d’une popularité enthousiaste.

C’était par d’autres moyens que le Gouvernement comptait gagner et retenir l’affection des diverses classes, de la bourgeoisie commerçante, des classes ouvrières, des paysans.

L’Empire avait privé la France de ses libertés : il se proposa de donner satisfaction aux intérêts matériels. Ce fut là toute une politique méthodiquement poursuivie, et qu’il importe de décrire.

Cette politique, elle avait son origine dans la politique suivie de 1840 à 1848 par le ministère Guizot. Dans la même absence de vie parlementaire, le gouvernement d’alors avait proclamé que son programme était de « bien faire les affaires du peuple », de travailler à satisfaire « la grande Société