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CHAPITRE II


L’APOGÉE IMPÉRIALE


Quand Napoléon III inaugura son règne, le système impérial était déjà complet. Les décrets-lois et les plébiscites avaient officiellement consacré le régime, préparé dès le temps de la présidence et fondé par la violence, au Coup d’État. L’organisation sur laquelle il reposait était parfaite, si parfaite qu’en dépit même de « l’évolution logique des choses », en dépit des habitudes nouvelles que la démocratie avait commencé de développer, en dépit des traditions, il parut pouvoir se maintenir, durer, et assurer dans ses cadres le développement de la nation. Cet Empire, né d’une imitation, création artificielle, volontaire, œuvre d’un ambitieux subtil qui avait su tourner à son profit des traditions nationales vivaces dans le peuple et les inquiétudes du parti de l’ordre, cet Empire auquel beaucoup ne pouvaient croire, même lorsqu’ils s’attendaient à le voir surgir en conclusion de la politique présidentielle, s’imposa à l’ensemble de la nation, et découragea souvent par son succès les exilés au cœur tenace, qui rêvaient encore l’abattre.

Il faut décrire l’ensemble des mesures qui permit de réaliser ce paradoxe historique.

Et d’abord, et avant tout, cette centralisation politique et administrative, qui donne au gouvernement le pouvoir de diriger à son gré l’opinion, la presse, tous les corps constitués, toutes les pseudo-assemblées parlementaires.

La Constitution de 1852 avait conservé, nous l’avons montré, une Chambre élue au suffrage universel. Cette Chambre tenait à Paris une session annuelle de trois mois ; elle avait le vote du budget et des lois. Mais, en matière législative, elle n’avait aucune initiative. Au-dessus d’elle, avant elle, il y avait le Conseil d’État. Les députés ne pouvaient présenter aucune proposition de loi, ni même un amendement à un projet du gouvernement. Aucun projet n’arrivait au Palais-Bourbon, si les conseillers d’État ne l’avait préalablement marqué de leur empreinte. Si quelque résistance imprévue surgissait, ces conseillers encore venaient à la Chambre, et, avec toute l’autorité que leur donnaient leur prestige d’avocats du gouvernement ou leur compétence particulière, ils imposaient le vote aux propriétaires ruraux, aux industriels, ou aux agents du pouvoir qu’étaient tous les députés.

En matière budgétaire, des hommes médiocres et de bonne volonté, par une étude consciencieuse et diligente, auraient pu rendre cependant quelques services. Le gouvernement ne le souffrait point, la Chambre votait le budget, mais en blocs, tout un ministère à la fois ; et il suffisait d’un virement