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Le prince-président avait, heureusement pour lui, quelques autres décrets à son actif. Il voulait être le grand initiateur en matière industrielle et commerciale. Dès 1852, il s’essaya à ce rôle. Le chemin de fer de Lyon était concédé par lui à l’industrie privée ; de nouvelles lignes venaient compléter le réseau du Nord ; la ligne de Strasbourg était achevée et prolongée ; de nouvelles lignes télégraphiques étaient établies.

Le 28 Février, un décret établissait les bases des institutions de Crédit Foncier. D’autres réglementaient les Monts-de-Piété et les Sociétés de Secours mutuels.

Le 14 Mars, eut lieu une grande opération : la conversion de la rente. Par un décret-loi, à cette date, les rentiers porteurs de titres à 5 0/0 ils étaient alors à 1.031) furent mis en demeure d’opter entre le remboursement de leurs valeurs au pair ou leur échange contre des titres de valeur nominale égale mais a 4 1/2 0/0. Habilement, le ministre des finances. M. Bineau, avait provoqué la hausse des autres valeurs. Un moment, cependant, une crise fut à craindre. Mais, avec l’aide des banquiers, on releva les cours.

Enfin, dernière mesure attestant le pouvoir du dictateur, ce fut par décret que fut arrêté le budget de 1852 : la Législative l’avait balancé par 1 milliard 447 millions. Le président l’élevait à 1 milliard 513 millions.

Malgré la lassitude de la plupart, malgré l’indifférence politique de beaucoup, tous ces décrets provoquaient dans le pays une curiosité narquoise. Ils soulevaient parfois des inquiétudes.

De sa prison, d’ailleurs assez douce, ou quelques mois plus tard, dans l’isolement où la proscription générale l’avait placé, le sagace Proudhon observait tout cela, tâchant de discerner où allait le prince. C’est alors qu’il écrivit son étrange volume : La Révolution sociale démontrée par le coup d’État. Tandis que les républicains et les socialistes dénonçaient avec indignation le crime de Décembre, tandis que Victor Hugo stigmatisait Napoléon le Petit, lui, il cherchait à démêler le jeu obscur qui se jouait à l’Élysée, et tentait même d’y jeter quelque atout nouveau. Qu’il le veuille ou non, pensait-il, le prince-président est l’homme de la révolution sociale, l’héritier de la révolution de 1848. Telle a été la profondeur du mouvement de 1848, telle est aujourd’hui l’impossibilité du régime actuel, telles sont les revendications du peuple, que Louis Napoléon sera contraint de faire la révolution sociale, de prendre ses idées à la République sociale et de les réaliser. « Qu’il prenne donc hardiment son titre fatal, qu’il arbore à la place de la croix, l’emblème maçonnique, le niveau, l’équerre et le plomb : c’est le signe du moderne Constantin à qui la victoire est promise : in hoc signo vinces ! Que le 2 Décembre, sortant de la fausse position que lui a faite la tactique des partis, produise, développe, organise, et sans retard, ce principe qui doit le faire vivre : l’anti-christianisme, c’est-à-dire l’anti-théocratie, l’anti-capitalisme, l’anti-féodalité ; qu’il arrache à l’Église, à la vie inférieure, et qu’il crée