Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’État. Au bout de quarante-huit heures déjà, le gouvernement, qui en sortait, était une réalité fort différente du rêve napoléonien.

*
* *

Louis-Napoléon avait pu rêvasser naguère d’un gouvernement fort et bienfaisant, de la réforme sociale, du bonheur du peuple et de la gloire impériale. Sa tâche principale, sa tâche presque unique, fut de se maintenir.

La première semaine de décembre avait révélé que les forces républicaines irréductibles étaient encore nombreuses ; elle avait montré, dans de vastes régions, l’opposition paysanne, groupée autour des notables, des médecins, des notaires, des gros propriétaires. Il fallait d’abord détruire cette opposition agissante. Il fallait achever d’abattre les républicains.

Le gouvernement connaissait la méthode. Il n’avait qu’à continuer, après le coup d’État, l’œuvre qu’il avait inaugurée quelques années auparavant. D’abord la presse, à sa solde et sous sa direction, allait dire aux timides, à la masse indifférente et craintive, les dangers qu’elle avait courus. Elle allait apprendre à tous que, si le président avait fait le coup d’État, c’était pour les sauver des menées socialistes, de la révolution sociale, de l’anarchie. Les continuateurs de Romieu avaient beau jeu : les quelques meurtres, commis au milieu des émeutes de résistance, leur furent un prétexte, à signaler l’épouvantable Jacquerie qui menaçait les campagnes et dont le gouvernement du président avait seul prévenu le développement.

Tandis que ces journalistes de basse police racontaient au peuple parisien que le massacre des boulevards avait été le châtiment « des gants jaunes », des aristocrates hostiles à la classe ouvrière et à Louis-Napoléon, ils dénonçaient aux imaginations paysannes les noirs desseins des sociétés secrètes, et les épouvantaient par les récits qu’ils faisaient de leurs crimes. La Patrie, le Constitutionnel racontaient qu’à Clamecy on avait ouvert le ventre d’un gendarme égorgé pour en arracher les entrailles ; ailleurs, on avait scié les poignets à un ami de l’ordre ; et partout, les insurgés avaient violé les femmes qu’ils rencontraient.

« La Jacquerie, racontait encore quelques mois plus tard M. de la Guéronnière, dans ses Biographies politiques (Napoléon III, page 176), avait levé son drapeau. Des bandes d’assassins parcouraient les campagnes, marchaient sur les villes, envahissaient les maisons particulières, pillaient, brûlaient, tuaient, laissant partout l’horreur de crimes abominables qui nous » reportaient aux plus mauvais jours de la barbarie. Ce n’était plus du fanatisme, comme il s’en trouve malheureusement dans les luttes de parti : c’était du cannibalisme tel que les imaginations les plus hardies auraient pu à peine le supposer ». Et la Patrie, publiant un long rapport sur le mouvement démagogique antérieur au 2 Décembre, signalant les sociétés secrètes, dont les procureurs généraux avaient constaté ou imaginé l’existence dans tout le