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fond des forêts, attendant, espérant dix-huit cent cinquante-deux ! Dans ces villages, où tous vivaient d’accord, où « sans connaître les divisions ni les passions jalouses qui gangrenaient ailleurs leur parti », tous étaient naïvement et simplement républicains, le mouvement de résistance, enthousiaste, joyeux, rappelait par tous ses incidents, par toutes ses manifestations, le grand mouvement des Fédérations de 1790, né là, lui aussi, et qui de la, avait gagné la France. Était-ce donc déjà 1852 ? Qui ne l’aurait cru. avoir les foules ardentes qui défilaient « à travers les campagnes ? Mais elles demeuraient hélas ! isolées. D’autres mains n’allaient point se tendre, comme jadis, vers celles des républicains de la Drôme et de l’Ardèche. Marseille n’avait point bougé ! Lyon, non plus, n’avait pas bougé ! Que pouvaient faire, eux seuls, les démocrates du village de Crest ou de Loriol ? Les paysans regagnèrent leurs maisons, leurs forêts ; et les troupes, bientôt, vinrent de nouveau les y traquer.

Tel fut ce mouvement. Le tableau un peu détaillé que nous venons d’en tracer permet d’en saisir les principaux caractères. Ce fut un soulèvement spontané et inattendu des campagnes gagnées à la cause républicaine et démocratique. Dans les grandes villes remuantes où l’on pressentait une résistance, où l’état de siège fonctionnait, où les troupes attendaient, nombreuses, les républicains ne purent bouger. Mais, dans les villages, ils se levèrent. Le président avait eu beau annoncer le rétablissement du suffrage universel, l’abolition de la loi du 31 mai 1850 : d’instinct, ils sentaient bien que le Coup d’État, qui augmentait son pouvoir, allait tourner contre eux. Ils savaient que c’était lui, que c’était son gouvernement, que c’étaient ses fonctionnaires qui, depuis plus d’une année, traquaient leurs militants, désorganisaient leurs sociétés, ruinaient leur propagande, et les réduisaient à l’unique espérance d’une revanche électorale en 1852. Ils savaient que, dans leurs luttes locales, contre les gros propriétaires, contre les curés, contre les réactionnaires, toujours, ils avaient trouvé avec leurs ennemis les agents du gouvernement, ses commissaires, ses préfets, ses procureurs généraux. Ils sentaient que le Coup d’État, c’était le dernier coup porté à leurs dernières espérances : et ils résistèrent, pour la Constitution qui, seule encore, au moins leur permettait d’espérer. Ce sont les luttes locales des dernières années, depuis 1848, qui donnèrent au Coup d’État, en province, son vrai caractère.

Après toutes les mesures répressives des années 50 et 51, après la persécution méthodiquement poursuivie des organisations républicaines et ouvrières, Louis-Napoléon avait cru pouvoir se poser, le 2 décembre, en pacificateur. Il avait cru pouvoir escompter une adhésion quasi-unanime. Un décret rédigé le 2 décembre demandait pour le 14 l’adhésion publique de tous au coup d’État : à registre ouvert, le peuple français aurait proclamé qu’il voulait le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte. Mais dès le 4 décembre, le système du vote à bulletin secret était substitué à