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qu’il venait d’arrêter un nommé Beaury, venu de Londres à Paris pour tuer l’Empereur, et qu’il avait trouvé des bombes chez l’ébéniste Roussel. Le 4 mai, un décret convoquait la chambre des mises en accusation devant la Haute-Cour, et le procureur Grandperret décrivait le vaste complot formé contre l’Empire, contre la société toute entière, et où se trouvaient englobés de nombreux républicains. La police n’avait pas inventé le complot. « Est-ce calomnier que de dire qu’elle le perfectionna » ? demande M. de la Gorce (VI, p. 113). — Ce ne sera sans doute pas non plus calomnier M. Émile Ollivier que de signaler avec quel art de mise en scène il s’en servit pour effarer l’opinion moyenne. Les journaux officiels et officieux insinuèrent que l’Internationale devait être pour quelque chose dans ce complot. Le conseil fédéral parisien protesta avec indignation le 2 mai : « Il est faux, disait son manifeste, que l’Internationale soit pour quelque chose dans le nouveau complot, qui n’a sans doute pas plus de réalité que les inventions précédentes du même genre. L’Internationale sait trop bien que les souffrances de toute sorte qu’endure le prolétariat tiennent bien plus à l’état économique actuel qu’au despotisme de quelques faiseurs de coup d’État, pour perdre son temps à rêver la suppression de l’un d’eux ».

Le 8 mai, eut lieu le vote. Il y eut 7.358.786 oui, 1.571.939 non, 1.894.681 abstentions ; 113.978 bulletins avaient été considérés comme nuls. Napoléon III venait de retrouver la triomphante majorité qui l’avait jadis élevé au trône. L’Empire semblait consolidé.

Ce fut une heure singulière dans notre histoire que ces quelques semaines de juin-juillet 1870, qui s’écoulèrent du plébiscite à la déclaration de guerre. Napoléon III affirmait plus haut que jamais sa bonne volonté libérale ; il invitait les Français à envisager avec lui « l’avenir avec confiance ». Le ministère se reconstituait, complétait ses cadres. M. de Gramont, homme de la carrière, prenait le ministère des affaires étrangères ; M. Plichon le catholique et le protectionniste, prenait le ministère des travaux publics. À l’extérieur, tout semblait calme. Lorsqu’à l’occasion de la discussion de la loi sur le contingent, Jules Favre interpellait le ministre sur notre politique étrangère, M. Émile Ollivier lui répondait le 30 juin : « De quelque côté qu’on regarde, on ne voit aucune question irritante engagée, et à aucune époque, le maintien de la paix en Europe n’a été plus assurée ».

À l’intérieur aussi, malgré les inquiétudes qui perçaient, on traversait comme un moment de recueillement. Politiquement, dans le parti républicain, entre les révolutionnaires, dont quelques-uns se discréditaient vraiment par des attitudes théâtrales ou de puériles manifestations, et les modérés, qui, à l’exemple de Picard, par peur du spectre rouge, semblaient presque déjà une gauche dynastique, le groupe de Gambetta, conciliant l’audace et la méthode, prenait peu à peu la conduite du parti, désormais plus discipliné et chaque jour plus prêt à prendre le pouvoir.

Mais, parmi les révolutionnaires socialistes eux-mêmes, une évolution