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Tout ce travail méthodique, continu, poursuivi avec une ardeur que rien ne lassait, ni les calomnies dont Richard était victime, ni le renvoi de l’atelier qui frappait le paisible et irréprochable Aubry, ni les chasses que la police marseillaise donnait à Bastelica, ni enfin l’ostracisme dont les patrons de Paris ou du Nord frappaient Malon, constituait pour l’Empire la plus terrible des menaces. L’organisation ouvrière enserrait comme dans un réseau le gouvernement désemparé. L’Internationale rassemblait peu à peu toute la classe ouvrière. C’était à plus de 250.000 qu’on estimait en avril le nombre de ses adhérents.


Cependant l’agitation politique ne s’était pas interrompue. Au début de mars, l’opinion publique s’était passionnée aux débats du procès de Tours : Pierre Bonaparte, l’assassin de Victor Noir, avait comparu devant des juges et avait été acquitté.

Puis bientôt c’était sur une autre question et autrement grave que la bataille entre l’Empire et l’opposition républicaine avait recommencé. Si le ministère Ollivier continuait à interdire les réunions publiques et à frapper les journaux, comme les ministères réactionnaires, et s’il prétendait contenir la démagogie, il tenait par ailleurs à manifester son sincère désir « de libéralisme » et son ardeur réformatrice. En février, par une manœuvre habile de la gauche républicaine, il avait été contraint de se prononcer contre la candidature officielle, et il avait perdu momentanément au moins l’appui de la droite. Engagé comme il l’était par ses promesses de réforme, il avait dû, d’autre part, proposer la révision de la constitution. Par une lettre du 21 mars, l’Empereur proclama sa volonté « d’adopter toutes les réformes que réclamait le gouvernement constitutionnel ». Un mois plus tard, le 20 avril, la réforme fut accomplie : le Sénat devenait une chambre haute, partageant le pouvoir législatif avec la chambre élue. Le pouvoir constituant revenait au peuple : aucun changement à la constitution ne devait plus se faire que par plébiscite.

Étaient-ce là des réformes suffisantes pour consolider l’Empire, pour arrêter la croissance de l’opposition républicaine et socialiste ? Beaucoup dans l’entourage impérial en doutaient ; et tous cherchaient par quel moyen la dynastie ébranlée verrait son avenir assuré. Quelques-uns déjà songeaient à une guerre, à un renouveau de gloire extérieure. D’autres, et l’Empereur, surtout, lassé, malade, vieilli, souhaitaient des moyens moins aléatoires. Depuis plus de deux ans, depuis qu’il se débattait au milieu de difficultés croissantes, Napoléon III rêvait de reconquérir par un plébiscite éclatant une popularité, une autorité nouvelles. Le Sénat, mené par Rouher, poussa fortement dans ce sens. Les bonapartistes autoritaires se flattaient de trouver dans cette répétition des procédés de 1852 un contrepoids au parlementarisme grandissant ; ils se flattaient de faire du plébiscite l’affirmation triomphante du gouvernement personnel en face du libéralisme.