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Mais cela suffit-il ? Comment les socialistes des sociétés qui se refusent à adhérer collectivement prendront-ils part à l’action de l’Internationale ? Comment adhèreront ceux qui, pour des raisons diverses, ne font pas partie des sociétés ouvrières ? — Et surtout, pour l’heure de l’action, n’est-il point nécessaire que les plus résolus, les plus décidés, se retrouvent ? Si les sociétés ouvrières englobent peu à peu toute la masse ouvrière, cette masse n’aura-t-elle point besoin d’être au moins entraînée par des initiatives réfléchies ? — En Angleterre, il y a côte à côte les trade-unions et les sections de l’Internationale (Troisième Procès, p. 183) : n’est-il pas utile de faire de même en France ?

Dans les premiers mois de 1870, toujours stimulés par l’idée de l’action prochaine, les Internationaux, qui avaient donné le meilleur de leur effort à l’action purement corporative, semblent s’attacher désormais à créer ou recréer des sections nouvelles, à refaire une organisation effective de l’Internationale française, à côté même des Fédérations de sociétés. « La force existe, écrivait Bastelica le 2 février 1870 ; il nous manque le mouvement : nous sommes un esprit sans corps. L’apprentissage de nos ouvriers a commencé par le syndicat. L’Internationale, c’est la maîtrise révolutionnaire ; personnellement et pour l’action, je compte moins sur le nombre que sur la trempe ».

Sections de l’Internationale ou, comme disent certains, sections révolutionnaires, sont établies alors de tous côtés. À Marseille et dans le Var, parmi les ouvriers bouchonniers, Bastelica fait une propagande active. Malon entre en relations avec les camarades de Saint-Étienne (1er mars). À Lyon, on réorganise la Fédération sur les principes de l’Internationale. De Mulhouse, du Nord, de Brest, des lettres affluent, montrant que partout l’Internationale suscite de nouvelles énergies. À Paris, enfin, au début de mars, les sections de l’Internationale se fédèrent, afin de former un groupe plus compact et d’établir un système de relations régulières avec le Conseil central. « Ça va faire, écrit le 8 mars Varlin, poursuivant toujours quant à lui son idée d’une organisation unique, une troisième fédération ouvrière à Paris ; c’est regrettable, mais enfin le mauvais vouloir des sociétés parisiennes à s’unir à l’Internationale nous y oblige. Plus tard, nous verrons s’il n’y a pas lieu de fusionner. Les sections sont déjà au nombre de treize. Cinq sont corporatives, cinq locales (cinq banlieue ou quartiers de Paris) et trois cercles : cercle d’études sociales, cercle socialiste et cercle positiviste. » (Troisième procès, p. 53).

Restait enfin une dernière œuvre à accomplir : fédérer les fédérations, établir une organisation nationale. Si intime que fût l’amitié de Varlin, de Malon, de Richard, de Bastelica, — pour ne parler que des protagonistes des grandes villes — leur correspondance n’était pas suffisante pour donner au prolétariat français une unité d’action qu’il éprouvait de plus en plus nécessaire. Dès juillet 1869 (lettre à Richard, du 26 juillet), Aubry parlait, en reprenant la formule proudhonienne, de la Fédération du Travail. Le