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avaient obéi, sans avoir bien conscience du jeu qu’ils jouaient,aux suggestions du nommé Laroque, rédacteur du journal Le Parlement, tout dévoué à Rouher, et qui cherchait par tous les moyens à atteindre le prestige du rival de son protecteur. Mais ce fut une question purement ouvrière qui souleva subitement la population du Creusot.

Il y avait au Creusot une caisse de secours, constituée en partie par des prélèvements sur les salaires, mais dirigée, administrée par le patron. Depuis quelques mois, des critiques s’élevaient contre ce système : certains réclamaient la gestion de la caisse. M. Schneider, fidèle, dans son petit royaume, aux procédés pseudo-démocratiques de son souverain, se proposa d’organiser un plébiscite sur son nom. Il déclara qu’il voulait remettre la gestion de la caisse aux ouvriers, et organisa un scrutin pour un vote général. Il espérait que ses ouvriers dociles le supplieraient par leur vote de reprendre cette gestion. Les contre-maîtres, bien informés et stylés, parcouraient les ateliers en disant : « Ce n’est pas possible ! Nous ne pouvons accepter ! Il faut que M. Schneider continue d’administrer la caisse ».

Cependant, la propagande du petit noyau indépendant, s’ajoutant à la préférence bien naturelle chez beaucoup d’administrer eux-mêmes les sommes qu’ils versaient, amenaient un vote inattendu pour M. Schneider. Sur 4.798 ouvriers inscrits, 1.943 s’étaient prononcés pour la restitution de la caisse aux ouvriers, 530 pour son maintien au pouvoir du patron.

Comment maintenant organiser la caisse ? Les ouvriers creusotins ne savaient même pas tenir une réunion ; un Parisien, un ajusteur venu au Creusot depuis quelques années, habile, intelligent, mais gardant quelque chose en lui de la discipline du soldat qu’il avait été, le leur enseigna. Il fut nommé président ; deux assesseurs lui furent adjoints. L’un de ces deux cria : « Si on nous renvoie, il faudra partir tous ». Assi fut chargé d’organiser la caisse ancienne en société de secours-mutuels. C’était le 17 janvier.

Le 19, arrivant à l’atelier, il trouva à sa place son livret, son argent. Il allait partir, sans mot dire. Mais un des assesseurs, Lacaille, qui travaillait aux forges près des ateliers des chemins de fer, avait, lui aussi, reçu son livret. Il passa le dire dans cet atelier. Les 300 qui l’occupaient le vidèrent immédiatement et coururent par l’usine. En une heure, tout était arrêté. De son lit, Dumay, malade, voyait culbuter les bennes de charbon.

Le lendemain, une commission de grève était nommée. M. Schneider recevait théâtralement les délégués et leur affirmait qu’il aimerait mieux voir éteindre tous les hauts-fourneaux que de céder à la pression de la grève. En même temps, le président du Corps législatif, appelant à l’aide les forces gouvernementales, faisait occuper son usine par la troupe. 4.000 hommes arrivaient pour contenir les ouvriers.

Allait-on revoir le massacre d’Aubin ou de la Ricamarie ? L’empire allait-il continuer à décimer les prolétaires ? — Une véhémente protestation se fit entendre non seulement des sections de l’Internationale, mais de tous