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pas encore d’idée commune sur ce point, et qui cherchait précisément, soit par les relations établies entre les Fédérations ouvrières des diverses villes, soit ensuite par la collaboration à la Marseillaise « à commencer l’étude des moyens d’organiser le travail, aussitôt la révolution faite » (lettre du 20 nov. 69). Et enfin le sérieux et pratique Aubry écrivait à son tour de Rouen, « que les socialistes de toutes écoles devaient s’unir dans la Fédération du Travail et préparer scientifiquement l’organisation de la société nouvelle ».

La Marseillaise publia des articles théoriques de Millière. Dans tous les journaux de l’Internationale, au début de 1870, des études précises furent poursuivies en vue de la révolution prochaine.

Cependant, les événements se précipitaient et les socialistes pouvaient se demander avec inquiétude s’ils disposeraient des quelques années, des quelques mois qui leur paraissaient indispensables pour étayer leur œuvre.

Lorsque le 29 novembre, l’Empereur avait ouvert la session législative ordinaire, il avait invité les députés à fonder avec lui la liberté. « La France, disait-il, veut la liberté, mais avec l’ordre. L’ordre, j’en réponds. Aidez-moi, messieurs, à fonder la liberté. » Le 27 décembre, les ministres ayant donné leur démission, Napoléon III faisait appel « au patriotisme » de M. Émile Ollivier, et le priait de former « un cabinet homogène, représentant fidèlement la majorité du Corps législatif ». Il y avait des mois que l’Empereur, M. Émile Ollivier et Clément Duvernois avaient préparé ce coup de théâtre. Le centre droit, le centre gauche multiplièrent leurs intrigues. La constitution du ministère n’alla point sans grosses difficultés. Le 2 janvier seulement, parurent les décrets qui nommaient M. Émile Ollivier garde des sceaux, MM. Daru et Buffet aux affaires étrangères et aux finances. Le nouveau ministère disposait à la Chambre d’une énorme majorité : il annonça une nouvelle loi sur la presse, l’abolition de la loi de sûreté générale et permit la vente des journaux sur la voie publique.

Ce n’étaient point là des satisfactions suffisantes pour la gauche républicaine. Gambetta et Jules Favre rappelèrent à M. Émile Ollivier qu’un fossé les séparait de l’Empire, même libéral.

Quant à la foule révolutionnaire, est-il besoin de dire que le changement de ministère et le renouvellement de l’Empire l’intéressèrent peu ?

Mais subitement, dix jours plus tard, un fait tragique allait la mettre en mouvement. Le 10 janvier, le prince Pierre Bonaparte, vrai condottiere du XVIe siècle, qui avait mené par le monde une vie d’aventurier et de bandit, assassinait Victor Noir, un jeune journaliste, qui venait chez lui, comme témoin de Paschal Grousset, lui demander compte d’un article paru dans l’Avenir de la Corse. Au moment même où l’Empire faisait des avances à la nation, Pierre Bonaparte évoquait le passé de violence et de meurtre d’où le régime était né.

Un vent de révolution passa sur Paris, lorsqu’on apprit la nouvelle. Les