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« Les fondateurs, écrivait encore Varlin à Aubry, se proposent, non-seulement de faire de la propagande, mais encore de rallier tout le parti socialiste européen, d’établir, par la voie du journal, des relations permanentes entre tous les groupes ; de préparer en un mot, la révolution sociale européenne. Pour vous faire connaître plus complètement encore l’esprit des fondateurs, je dois vous dire que, dans nos réunions, nous avons été presque unanimes à reconnaître que nous n’étions pas prêts pour la révolution ; qu’il nous fallait encore un an, deux ans peut-être de propagande active par le journal, les réunions publiques et privées, et l’organisation des sociétés ouvrières, pour arriver à être maîtres de la situation et être assurés que la révolution ne nous échappera pas au profit des républicains non socialistes.

La partie politique du journal n’est que l’accessoire, un journal devant être varié pour être lu ; la partie sociale est la seule importante pour nous. Il faut nous appliquer à la rendre intéressante et sérieuse, afin qu’elle prenne chaque jour plus d’extension dans le journal. Pour cela nous avons besoin du concours de tous nos amis, me disait Millière dans notre entrevue de ce matin (Troisième procès, page 35) ».

Ce qu’il écrivait à Aubry, Varlin l’écrivait à Guillaume ; il l’écrivait à Richard. Il les priait tous de faire de la propagande pour la Marseillaise, de la faire substituer au Siècle dans les restaurants que fréquentaient les camarades, d’envoyer des correspondances, afin de poursuivre activement cette « révolution dans les idées » qui devait préparer l’autre.

J’aurais voulu pouvoir citer ici encore de nombreux extraits de la correspondance que j’ai eue entre les mains, montrer la fièvre qui agitait cette génération héroïque, dire leur attente des temps prochains et montrer comment, dans ces lettres intimes, par un effort permanent de conscience, ils tentaient de se situer dans la révolution prochaine, de définir leur rôle exact, à chacun, dans la besogne commune. « Un grand souffle passait sur le prolétariat, disait plus tard Richard. L’illusion qui faisait croire à de grandes choses dans un avenir prochain avait des apparences de plus en plus solides et fortifiantes ».

Animés, soulevés par cette espérance, le petit groupe de militants, de frères qui menaient en commun cette bataille, se préoccupaient constamment du lendemain de la révolution, de son organisation. Leurs lettres, celles de Malon à Richard surtout, nous ont gardé quelques échos de leurs débats. Nous n’y insisterons pas. Mais il faut bien marquer leur souci commun de trouver des modes d’organisation immédiats et leur volonté de faire taire leurs divergences.

C’était le souci de Bastelica lorsqu’il écrivait à Richard de la nécessité d’établir un plan de Révolution française. C’était le souci de Varlin, qui constatait que la « suppression de toutes les institutions gênantes serait facile », mais que « l’édification serait plus difficile, car les travailleurs n’ont