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utilisable, ne s’affirma avec autant de force qu’en ces douze mois de juillet 69 à juillet 70.

La fondation même de la Marseillaise, en décembre 69, montre avec quelle sûreté et quelle claire vue des circonstances agissaient les hommes qui menaient le mouvement. Les élections complémentaires de novembre avaient scellé l’alliance entre les démocrates avancés et les socialistes. Rochefort s’était déclaré socialiste. Bon gré, mal gré, sous la poussée de l’opinion, tous s’étaient ralliés autour de l’ennemi de l’Empereur. La grande force révolutionnaire, alors, c’était la popularité de Rochefort. Cette popularité, le pamphlétaire voulait l’entretenir ; il souhaitait d’avoir un journal à lui.

Or, au même temps, l’Internationale n’avait plus d’organe. Le journal hebdomadaire Le Travail, auquel ses membres avaient coutume de collaborer, venait de disparaître. Le syndicat des employés de commerce qui le soutenait avait subi en effet une grève désastreuse et l’avait abandonné. Il fallait cependant un organe. Rochefort fondait la Marseillaise. Varlin alla voir Millière, le directeur. Ils s’entendirent.

Pourquoi Varlin, pourquoi Malon s’unissaient-ils à Rochefort ? Pourquoi ces hommes de sens droit et de pensée précise se mêlaient-ils à un mouvement, où il était facile de distinguer déjà des éléments démagogiques ? Varlin lui-même l’a expliqué longuement, et il importe de citer ici encore quelques-uns de ses arguments.

« La situation actuelle de la France, écrivait-il à James Guillaume, (Cf l’Internationale I, 358) ne permet pas au parti socialiste de rester étranger à la politique. En ce moment, la question de la chute prochaine de l’Empire prime tout le reste, et les socialistes doivent, sous peine d’abdiquer, prendre la tête du mouvement. Si nous nous étions tenus à l’écart de la politique, nous ne serions rien en France aujourd’hui, tandis que nous sommes à la veille d’être tout. »

La Marseillaise allait être sans doute le journal de Rochefort, c’est-à-dire avant tout une « machine de guerre contre l’Empire ». Mais elle ne voulait pas n’être que cela.

Autour de Rochefort, s’étaient groupés pendant la période électorale « les citoyens actifs du parti socialiste ». Son acceptation « franche » du mandat impératif avait fait de lui sans doute « le véritable porte-voix du peuple de Paris » ; ses collaborateurs politiques s’engageaient à être toujours « complètement révolutionnaires ». Mais les socialistes avaient droit à davantage.

À côté de la partie politique, une partie très importante du journal devait être réservée aux questions sociales et ouvrières. Elle devait avoir pour principal rédacteur Millière, « un des socialistes les plus capables que je connaisse », écrivait Varlin. Les principes du journal devaient être ceux du Congrès de Bâle, « le collectivisme ou le communisme non autoritaire ».