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politique et les réformes sociales s’enchaînent et ne peuvent pas aller l’une sans l’autre. Seule, la révolution politique ne serait rien ; mais nous sentons bien, par toutes les circonstances auxquelles nous nous heurtons, qu’il nous sera impossible d’organiser la révolution sociale tant que nous vivrons sous un gouvernement aussi arbitraire que celui sous lequel nous vivons. (Troisième procès, p. 22).

Mais c’est Malon surtout qui représente, parmi les hommes de Paris, celui qui tient le plus grand compte de toutes les forces diverses engagées dans la lutte. Très informé, très studieux, éclectique de tendance, comme il l’est, il ne peut s’accoutumer à l’exclusivisme, à l’intransigeance de son ami Richard. « Marchant de concert, dit-il, nous pouvons, si nous ne tombons pas sous les premières balles, faire beaucoup ; mais il y a une chose qu’il ne faut pas nous dissimuler. Après six mois de révolution, nous courons le risque de ne plus marcher parallèlement. Ta propension à toujours marcher des premiers dans l’avant-garde devancera souvent ma méthodiste prévoyance révolutionnaire, qui ne veut marcher qu’en entraînant autant que faire se peut les gros bataillons au risque de se retarder. Cela tient surtout à ce que tu ne vois qu’un groupe tout préparé, tout révolutionnaire, et que moi aventurier de la pensée, je fréquente tous les partis, démocrates radicaux, proudhoniens, positivistes, phalantériens, collectivistes (communistes conservateurs de la famille autoritaire), fusionnistes, coopérateurs, etc.., tout en restant l’un des plus énergiques communistes. Je vois partout des gens de bonne foi et cela m’apprend à être tolérant » (17 avril 1869).

Et de même, s’adressant encore à Richard en cette période de la fin de 1869 et au début de 1870, où la question politique se posa avec acuité devant la conscience des socialistes, il écrivait : « Ta lettre est au fond une mise en demeure de me prononcer sur l’idée révolutionnaire. Je ne suis pas du tout partisan de l’abstention du socialisme en présence du mouvement qui grandit à Paris. La révolution s’avance, inévitable, accessible encore à bien des influences. S’abstenir dans ces conditions serait pour nous une ligne de conduite on ne peut plus désastreuse, puisque ce serait abandonner le mouvement à la direction des politiques purs. Telles sont les raisons qui font que je me suis jeté sans réserves dans l’agitation républicaine, persuadé que la meilleure façon de planter son drapeau est de le faire toujours apercevoir au premier rang. Ce n’est point notre faible concours qui fera de beaucoup avancer l’heure de la révolution ; mais nous contribuerons par notre intervention à lui donner une attitude réellement sociale. »

Jamais, peut-être, cette sûre méthode d’opportunisme révolutionnaire, cette méthode classique du socialisme français, inaugurée par Babeuf lors de la première révolution, continuée par le vieux Buonarroti, reprise par Blanqui dans le grand mouvement de 1834 et qui demeure pour nous encore dans le développement de la démocratie contemporaine une leçon toujours