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et de gouaillerie, il est vrai, à toute l’action politique des démocrates marseillais. Murat déclarait plus tard au procès de l’Internationale que sa correspondance avec Bastelica lui avait apporté de grandes joies. Ce que avons recopié des lettres qu’il écrivit à Richard montrent le mobile et sensible esprit qu’était ce jeune militant. Il est peu de pages aussi jolies dans notre littérature socialiste.

En mars 69, Bastelica constate que le suffrage universel est inefficace dans un milieu qui n’est pas le sien, et que le principe de la Révolution reste intact, quelle que soit l’issue du scrutin. « Néanmoins, déclare-t-il, pour l’honneur de la vérité et l’honnêteté de mes convictions, je voterai demain pour Gambetta ». En juillet, il écrit à Richard tout le dégoût que soulève en lui la conduite flasque de l’Extrème-Gauche, qui n’a pas osé refuser le serment. « Ces Messieurs ignorent-ils donc, dit-il, que l’abstention qui nous prive des services et de l’énergie révolutionnaire des Barbès, des Blanqui, des Cambon, des Martin Bernard e altri est le produit, la conséquence forcée de cette formalité coercitive infâme ? Voudraient-ils, par hasard, ériger leurs sièges en privilèges et la démocratie assermentée en principes ? Allons ! allons ! la Gauche murmurant alors que Raspail ridiculise justement le roi-citoyen a avoué ce qu’elle est réellement l’arrière-garde de la bourgeoisie… Une fois de plus, tenons-nous bien campés sur nos gardes, et par la Révolution, jurons de ne jamais prêter serment, pas plus au peuple qu’à l’Empereur ! »

En octobre, tandis que le mouvement grandit et que ce mouvement semble pouvoir servir de support à la révolution sociale, les deux amis continuent de s’inquiéter de la question politique : « Il faut, écrit Bastelica à Richard, le 6 octobre 1869, que nous nous mettions parfaitement d’accord sur la question politique. Le Gouvernement est, comme le crédit, le monopole et la propriété, une résultante, une série économique, une catégorie sociale : la Révolution les résout négativement. Nous voulons le non-gouvernement, parce que nous affirmons la non-propriété… et vice-versa. La morale humaine détruira la religion ; le socialisme détruira le gouvernement ou question politique. Si le parti aujourd’hui embrasse plutôt la question politique, c’est que dans sa conception théorique, il le voit représenter la société.

« Faussetés ! direz-vous ; réalités, vous répondrai-je. Le plébiscite est encore en honneur dans la masse. Et pourquoi nous en plaindrions-nous ? Le peuple affirme ainsi inconsciemment la raison collective. Le travailleur attend tout de la République ; c’est son desiderata : donnons-lui la République sociale. Prouvons in anima vili le non-gouvernement et l’agriculteur acceptera la non-proprieté. C’est de la déduction rationnelle. La Démocratie a peur de son ombre, de l’utopie, comme naguère elle s’effrayait de la démagogie. Je suis utopiste et démagogue parce que révolutionnaire : si la démocratie n’enfantait pas l’utopie, elle accoucherait du despotisme. Exem-