Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

long effort poursuivi en commun, c’est des engagements publiquement pris par tous, que sort, enfin, définitivement constituée en décembre, la Fédération parisienne des Chambres syndicales ouvrières.

Il faudrait pouvoir décrire en détail les sacrifices admirables consentis à cette époque par toutes nos jeunes organisations ouvrières. Rien n’atteste mieux peut-être la croyance très ferme chez tous que les temps étaient proches. Le 8 octobre, alors que les travailleurs parisiens ont trois grandes grèves à soutenir, Varlin envoie à Aubry 800 francs de prêt, 500 de la Société typographique, 300 des ferblantiers ; et il lui annonce que les bijoutiers ont voté 200 francs, les lithos 500. Les 10, 17, 20, 29 octobre, il lui envoie encore 900, 600, 300, 1.000 francs, provenant de souscriptions et de prêts. Le 4, le 8, le 16 novembre, nouvelles transmissions de fonds, et je le répète, au moment même où la terrible grève des mégissiers bat son plein, et où il faut, pour eux, 8.000 francs par paye. « Dans les temps ordinaires, écrit Varlin, le 8 novembre, cette somme se serait trouvée assez facilement. Mais aujourd’hui les caisses sont épuisées. Cependant on l’a trouvée à peu près et la paye a pu être faite, mais au prix de quels efforts ! »

Cette lourde lutte et les difficultés inouïes qui en surgissaient faisaient mieux comprendre aux militants parisiens l’utilité de l’organisation régulière naguère préconisée par les bronziers. « La multiplicité des grèves, écrivait Varlin dans la lettre à Richard du 20 novembre 1860, nous crée des embarras terribles, mais cela nous force à nous organiser. Il est certain que la fédération parisienne ne serait pas encore constituée sans les difficultés en présence desquelles nous nous sommes trouvés ces derniers temps ». Le projet de Fédération, à vrai dire, n’avait jamais été abandonné. Peu à peu, dans les réunions où ils discutaient les futurs statuts fédéraux, les délégués des différentes professions s’étaient accoutumés à prendre des décisions communes. Ils avaient signé ensemble, le 14 octobre, un manifeste énergique contre le massacre d’Aubin. (Cf le texte, Troisième Procès, p. 32). Ils avaient établi des règles fixes pour recueillir les souscriptions. La constitution définitive de la Chambre fédérale, que Varlin annonça enfin officiellement le 1er décembre aux sociétés lyonnaises ne faisait ainsi que consacrer une pratique depuis longtemps établie.

Les juges de l’Empire se sont attachés plus tard, dans le procès de juin 1870, à confondre l’organisation des sociétés ouvrières et l’Internationale. Il est de fait que, rassemblées dans le même local, place de la Corderie-du-Temple, et dirigées souvent par les mêmes hommes, les deux organisations agirent toujours d’accord pendant les derniers mois de l’Empire. Mais il existait bien deux organismes distincts ; non point peut-être comme aujourd’hui un groupement économique et un groupement politique, mais si l’on peut ainsi parler un groupement de propagande et d’idées, cherchant à animer de plus en plus de sa pensée toute l’organisation des intérêts professionnels. Par la Fédération des syndicats, le petit