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nommés. Voilà qui pourrait changer la face de l’Europe. Oh ! pourvu que nos amis soient prudents ». (L’Internationale, 1, 158. Bancel ni Gambetta n’étaient socialistes ; mais par la brèche qu’ils ouvraient, les socialistes espéraient bien passer.

Les socialistes « prudents ». les socialistes conscients, du moins ceux qui cherchaient avec attention comment, dans la révolution même, leur idéal allait se réalisant ! Car il en était d’autres, plus impatients et plus violents, moins soucieux du travail quotidien d’organisation et d’éducation, que les élections n’avaient point satisfaits. L’échec à Paris, au scrutin de ballottage, de d’Alton-Shée, de Raspail et de Rochefort, avait irrité de nombreux prolétaires. Le soir du vote et les jours suivants, du 6 au 12, une vive agitation régna : des manifestations eurent lieu ; des kiosques furent renversés, dés réverbères brisés ; des collisions se produisirent entre les ouvriers et la police. Ce fut par des poursuites contre le Rappel et le Réveil et par l’expulsion de Cluseret que le gouvernement répondit.

On nota, pendant ces jours d’émeute, l’apparition des blouses blanches, des sinistres agents provocateurs, stipendiés par un gouvernement aux abois, et qu’on devait voir désormais reparaître à toutes les heures troubles jusqu’à la fin du régime. Cet essai d’émeute n’en fut pas moins une manifestation de la colère socialiste. Des membres de l’Internationale s’y trouvèrent arrêtés en grand nombre. Il semble même que le gouvernement s’était proposé de les atteindre spécialement. Jusqu’à l’amnistie du 15 août — on le voit par la correspondance de Varlin et d’Aubry — leurs familles furent secourues par les camarades des différentes villes.

Mais les Internationaux les plus avisés le sentaient bien : ce n’était point par la lutte électorale qu’ils pouvaient attirer et orienter définitivement vers le socialisme les masses ouvrières. C’était en prenant part à la lutte élémentaire des classes, à la lutte directe du patronat et du salariat, telle qu’elle se manifestait par les grèves, c’était en organisant corporativement la classe ouvrière en vue de ces luttes, que les socialistes pouvaient gagner à leurs conceptions la masse des salariés. Dans les années antérieures, n’était-ce point aux grèves, aux souscriptions qu’elle avait organisées à leur occasion et aux secours qu’elle distribuait, que l’Internationale avait dû sa première popularité ? Et la campagne électorale même n’était-elle point de nature à faire douter de l’efficacité des réunions publiques et de la qualité des socialistes qu’on y formait ? Les organisations corporatives devaient fournir à la propagande collectiviste des éléments plus solides.

Par un revirement qui s’est souvent produit dans notre histoire ouvrière, après s’être plus ou moins enthousiasmés à la lutte politique, les salariés revenaient à leurs préoccupations quotidiennes et aux luttes nécessaires contre le patronat. Une forte poussée de grèves marqua précisément l’année 1869, et en particulier les derniers mois. Elles procédaient une fois encore des conditions économiques générales, de la prospérité industrielle qui