Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jules Simon et Pelletan furent élus. Dans l’ensemble de la France, le nombre des voix obtenus attestait les progrès accomplis par l’opposition. Aux élections de 1863, les candidats du gouvernement avaient réuni 5.300.000 voix, les candidats de l’opposition 2.000.000 ; en 1869, les candidats du gouvernement n’obtenaient que 4.438.000 voix, l’opposition passait à 3.355.000. Le gouvernement perdait 662.000 suffrages, l’opposition en gagnait 1.350.000.

Mais l’opposition à l’Empire ne gagnait pas seulement en nombre ; elle gagnait aussi en vigueur. Dans l’ensemble, les candidats orléanistes et libéraux avaient été distancés par l’opposition démocratique. Aux opposants modérés, de la génération des Cinq, qui avaient tenté d’accommoder leurs actes aux conditions de l’Empire autoritaire, se substituaient désormais les républicains de 1848 et de 1851 ou les jeunes irréconciliables. Les électeurs exerçant cette fois librement et personnellement leur droit de vote, avaient tenu à faire des élections une solennelle manifestation contre le régime, une manifestation révolutionnaire. (Cf. pour les détails, Tchernoff, loc. cit., chap. XV : Les élections de 1869 à Paris et dans les départements).

Le socialisme n’avait peut-être point obtenu tous les progrès qu’il espérait. Dans l’ensemble, les Internationaux se déclaraient satisfaits. Au début de la brochure que nous avons déjà citée sur le socialisme aux élections, Albert Richard écrivait : « Somme toute, les socialistes ne sont pas mécontents des résultats obtenus. À Paris, des programmes franchement radicaux ont été publiés, et plusieurs ont réuni des milliers d’adhésions ». À défaut de sièges, les socialistes comptaient leurs voix. Surtout ils se félicitaient, comme d’un gage donné à leurs espérances, du succès des républicains radicaux, des irréconciliables : « Les socialistes politiques, écrivait Malon quelques jours après le premier tour, sont dans la jubilation. Les libéraux sont atterrés ; ils se disent (voir la Liberté, le Constitutionnel, Paris, le Journal de Paris, l’Opinion nationale, etc.) vaincus, et reprochent au gouvernement d’avoir amené le triomphe des révolutionnaires socialistes par ses défis maladroits. Pour moi, ce que dans ces élections je vois de plus heureux, c’est la déchéance totale de la presse libérale. Les Parisiens se sont souciés des listes de journalistes comme de l’an quarante, l’échec de Garnier-Pagès, Carnot, Jules Favre… en est une preuve manifeste. Quant à la presse radicale, la ridicule défaite de Baudin lui apprendrait à vivre si les exemples pouvaient servir de quelque chose à ce cancer social qu’on nomme la bourgeoisie. Mais en voilà assez, n’est-ce pas, sur les élections ! Si nous n’avons pas à nous en réjouir outre mesure, nous aurions mauvaise grâce à nous en plaindre ; le radicalisme révolutionnaire a pesé de tout son poids dans la balance et nous sommes aussi et surtout révolutionnaires ». (Lettre à Albert Richard, 28 mai 69). Telle était l’impression générale qu’à la nouvelle des résultats, James Guillaume écrivait, lui aussi, dans ses montagnes suisses : « À Paris et à Lyon, le socialisme a triomphé au scrutin : la république bourgeoise est battue ; Raspail, Bancel, Gambetta sont