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excès préparés par les communistes (p. 329). Gambetta lui-même, nous l’avons vu, s’élevait contre « la politique démagogique » et risquait de faire croire qu’il n’était, lui aussi, qu’un candidat (p. 331). Les socialistes ne devaient donc pas trouver chez les républicains l’appui cordial qu’ils étaient en droit d’en attendre pour la diffusion de leurs idées. Même ceux qui, comme Chassin, le fondateur de la Démocratie, semblaient ouverts aux idées sociales et se flattaient de faire appel à toutes les vieilles écoles, excluaient de leur république les collectivistes et les communistes. Albert Richard ne tarda pas à l’éprouver. Comme il avait envoyé à Chassin un compte-rendu des Congrès de Bruxelles et de Berne, celui-ci lui répondait : « J’ai reçu votre article et je le déclare tout net impossible. Les deux Congrès ont été et sont encore fort exploités par nos ennemis. Si vous voulez rendre la République odieuse et rebonapartiser les campagnes (l’immense majorité du peuple français), vous n’avez qu’à parler de communisme, de collectivisme. Je vous l’ai dit de vive voix et je vous le répète : le tort de la plupart des ouvriers socialistes est de se considérer comme seuls souffrants des iniquités sociales ; oublier les travailleurs rustiques et parler de leur prendre la terre — ou de la donner à tous, ce qui est la même chose, — c’est les armer contre la Révolution. » (Lettre communiquée par Albert Richard. Elle est datée du 22 octobre 1868).

Mais, indépendamment de cette inquiétude persistante des républicains non socialistes, la campagne électorale elle-même, en remettant au premier plan la lutte contre un gouvernement détesté, devait nuire à la propagande si brillamment poursuivie depuis quelques mois.

La classe ouvrière se préparait à voter avec plus de passion encore qu’en 1863 : les comités se multipliaient ; les électeurs entendaient cette fois se conduire eux-mêmes, choisir eux-mêmes leur candidat et lui imposer son programme. Mais le programme, c’était d’abord et avant tout le camouflet à l’Empire. Les partisans de l’abstention devaient avoir encore moins de succès qu’en 1863. L’abstention — il faut d’ailleurs le reconnaître — n’avait plus la même opportunité, et ne pouvait avoir rien d’efficace. « Les gros bataillons, écrivait Malon à Richard le 17 avril 1809, ne s’élèvent pas à la hauteur morale de l’abstention. Il n’y a guère que les communistes de Belleville sur lesquels on puisse sérieusement compter. Les libéraux (et ils sont nombreux) sont incorrigibles ; les positivistes (ils sont influents) se perdent dans les moyens de leur système, inabordable à force d’être savant ; les proudhoniens (ils sont aussi relativement nombreux) voient la possibilité d’une rénovation sociale par la seule abrogation de l’article 291. Aussi la bourgeoisie les voit-elle sans cette horreur sauvage que lui inspirent les communistes. Les coopérateurs (ils sont peut-être trente mille) croient toujours à la possibilité d’une révolution pacifique, et comme les proudhoniens, comme Bakounine, ils ne croient pas à l’efficacité d’une révolution politique ; ou du moins, s’ils ne la nient pas d’une façon aussi nette que notre peu logique cosaque, ils n’y ont pas une foi bien vive. — Je ne peux te donner une idée plus juste