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et ils signalent que cette peur qui tend à renaître peut compromettre l’opposition libérale.

Cette peur, il faut la dissiper. Les socialistes se déclarent donc prêts à accepter la « sommation de faire connaître, avec précision et sans réticence aucune, non pas leurs idées sur l’avenir de l’humanité, idées qui doivent être d’autant plus vagues, qu’elles s’appliquent à un avenir plus éloigné, mais, ce qui est bien différent et bien autrement important, les mesures législatives qui leur paraissent nécessaires et suffisantes pour accomplir ce qu’ils appellent la révolution sociale.

« Désireux comme vous, citoyens députés, d’en finir avec cette peur absurde, qui fait seule obstacle au triomphe de la liberté, convaincus d’ailleurs qu’un pouvoir quelconque ne pourra jamais révolutionner à sa guise une société qui ne veut pas être révolutionnée, ou la faire marcher dans un sens contraire à celui dans lequel, à tort ou à raison, elle veut et entend marcher, nous avons, après mûres délibérations, pris le parti d’aller au-devant de votre sommation… Si nous devons être vaincus par vous sur le terrain pratique, si vous nous convainquez de l’impraticabilité de nos moyens,… le parti socialiste, auquel nous avons l’honneur d’appartenir, sera sans doute alors renvoyé à l’école des moyens ; mais la nation, nous en sommes convaincus, vous y enverra avec lui, en posant ainsi le problème :

« Formuler un ensemble de mesures législatives telles, que la liberté du travail et la liberté des transactions restant sauves, l’égalité des conditions en résulte progressivement et promptement, sans spoliation ni banqueroute. »

C’était — nous le noterons une fois encore — le développement même de la pensée du manifeste des Soixante : le peuple ouvrier, entrant comme partie contractante dans l’opposition libérale et attendant des libéraux la réalisation de quelques-unes de ses revendications. Mais cette conception se trouvait déjà dépassée. Les collectivistes estimaient que les proudhoniens « signataires de l’appel s’étaient arrogé indûment le droit de représenter le socialisme » : « les vaincus de juin, déclaraient-ils, ne discutent pas avec leurs meurtriers, ils attendent » (Opinion nationale, 10 avril. Et d’autre part, les députés, soucieux de couper les ponts avec des alliés trop compromettants, se refusèrent à accepter le défi. Une fois de plus, les Internationaux de la première heure purent s’apercevoir que l’opposition libérale n’était point disposée à les « guider » dans leur lutte. C’était le moment où Gambetta lui-même condamnait « la politique démagogique », et où Ranc son ami se demandait avec inquiétude si son cher Gambetta ne voulait être qu’un candidat ». Quelque rapprochement que les luttes ultérieures pussent amener, en ce mois d’avril 1869 L’opposition parlementaire, même sous sa forme la plus hardie, apparaissait comme incapable de rallier tout le peuple dans la commune bataille.

Qui donc, encore une fois, se proposera de satisfaire aux aspirations, à