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imposerait la grande expiation nationale, au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ».

Delescluze et ses amis avaient été condamnés. Mais les origines historiques et criminelles de l’Empire avaient été rappelées. Il n’était plus seulement ridicule ; il devenait odieux. Malgré la condamnation, les souscriptions continuèrent. Chaque jour révélait l’existence de nouveaux ennemis.

Qu’on nous pardonne de ne point insister longuement sur ces événements illustres de notre histoire républicaine. Ils sont connus ; ils sont classiques. Nous n’en nions nullement l’importance générale ; mais il en est d’autres, qui, de notre point de vue socialiste, méritent d’autant plus de retenir notre attention, qu’on en a souvent nié la portée, dans l’histoire générale.

C’est, pour une part, à la loi sur la presse qu’étaient dû le retentissant procès du 13 novembre et l’essor nouveau qu’il permit au mouvement républicain. C’est à la loi du 6 juin sur les réunions qu’est due la diffusion des idées socialistes dans les masses ouvrières parisiennes.

Les camarades socialistes, avec qui j’ai pu parler de l’époque que je raconte, ont insisté toujours avec vigueur dans nos conversations, sur l’importance singulière et méconnue des réunions publiques. Pour Landrin, par exemple, tout le mouvement socialiste de la fin de l’Empire est sorti de là. Et notre camarade a raison. A leur sortie de Sainte-Pélagie, c’est un prolétariat nouveau que les militants de l’Internationale ont rencontré.

Il faut lire, soit dans le livre de Molinari, sur le Mouvement socialiste et les réunions publiques avant le 4 septembre, soit surtout dans les Souvenirs si amusants de Lefrançais, le tableau de ces réunions publiques.

La première eut lieu au Vaux-Hall, derrière la caserne du Chàteau-d’Eau, le 18 juin 1868. Malgré le beau temps, un dimanche après-midi, plus de 3.000 personnes étaient venues pour assister à cette première réunion, convoquée par Forney, le buchézien, le vieux Ch. Beslay, Demay le bronzier, Horn l’économiste, qui présida, et quatre autres personnes, au terme de la loi. La discussion roula sur le travail des femmes ; Horn exposa. On discuta, dans les séances ultérieures ; et deux mois durant, elles se poursuivirent ainsi. Elles avaient l’allure d’une conférence comme les républicains en avaient fait déjà les années précédentes. « Le public est seulement un peu moins guindé, moins « comme il faut », suivant l’expression convenue… mais le sujet d’études abordé est vaste et gros d’incidents imprévus » (Lefrançais, p. 29S). Quelques femmes, Andrée Léo, Maria Deraisme, prenaient la parole. Les Proudhoniens vinrent soutenir leurs théories.

Bientôt les réunions furent transportées du Vaux-Hall à la Redoute ; rue Jean-Jacques-Rousseau, dans la salle des fêtes de la maçonnerie écossaise ; puis elles se multiplièrent, dans le faubourg Saint-Antoine, rue Mouffetard, à Belleville, à Montmartre. Par une évolution qu’ont subie, plus tard, à leur tour, nos Universités populaires, l’auditoire bourgeois-ou petit-bourgeois