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plus de force que les accusations véhémentes ou les appels émus des rédacteurs du Réveil.

Au demeurant, quelques semaines plus tard, des manifestations nouvelles allaient apporter aux vieux républicains des satisfactions plus hautes. Le 3 août, malgré la pression officielle, malgré les circulaires du préfet, opposant « le principe conservateur du gouvernement impérial et le principe révolutionnaire », Jules Grévy, le démocrate radical de 1848, l’adversaire de l’expédition romaine, était élu député par les campagnes du Jura. Le 21, paraissait le livre de Ténot, Paris en décembre 1851, l’exposé modéré et honnête, net et simple, des origines et du développement du Coup d’État. « L’ouvrage de M. Ténot, écrivait Ranc à la fin de l’année, est plus qu’un livre, c’est un acte politique, et c’est aussi pour le pays le point de départ d’une situation nouvelle. Aux uns il a rappelé le passé ; aux autres, il l’a appris » (Bilan de l’année 1868, p. 139).

À ceux qui l’ignoraient, à ceux qui l’avaient oublié, le livre de Ténot rappela la plus illustre des victimes de Louis-Napoléon, Baudin. De même que, l’année précédente, le jour des Morts, des républicains et des ouvriers avaient manifesté sur la tombe de Manin, le patriote italien, de même quelques-uns se préoccupèrent de retrouver le 2 novembre, la tombe du député républicain. Charles Quentin, du Réveil, Gaillard père,le cordonnier babouviste, Gaillard fils, et Peyrouton retrouvèrent la pierre modeste, à l’inscription déjà un peu effacée, qui marquait la tombe. Une courte manifestation s’organisa. Le lendemain, l’Avenir National et le Réveil, auxquels s’associaient bientôt la Tribune et la Revue politique, prenaient l’initiative d’une souscription publique pour élever un monument à la mémoire de Baudin. Le 6, une instruction était ouverte contre les manifestants et les journalistes. Alors d’autres journaux ouvraient leurs colonnes ; et les souscriptions arrivaient en masse. Victor Hugo, Louis Blanc, Jules Favre, Prévost-Paradol, Berryer enfin, à la veille de sa mort, envoyaient leurs noms. Le gouvernement hâtait les poursuites ; le délit invoqué par le ministère public était celui de « manœuvres à l’intérieur ».

Le 13 novembre, Delescluze, Quentin, Peyrat, Challemel-Lacour, Duret, les deux Gaillard et Peyrouton comparaissaient devant le Tribunal correctionnel. Crémieux, Emmanuel Arago, Gambetta et Laurier les défendaient. Un président, secrètement sympathique, permit aux avocats de tout dire. Gambetta, de sa voix tonnante, lança contre les hommes du Coup d’État un acte d’accusation terrible. On sait les phrases désormais classiques et que tous les républicains récitèrent sur « les hommes sans talent, sans honneur, perdus de dettes et de crimes » qui avaient fait le coup d’État ; sur Paris soumis, non, « assassiné, mitraillé » ; sur le 2 décembre, anniversaire national, délaissé par les Bonapartistes honteux, et que les républicains revendiqueraient et fêteraient « jusqu’au jour où le pays, redevenu maître, vous