Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quiconque paraissait. L’assassinat non déguisé succédait à l’opportune panique.

L’impression produite par ce monstrueux massacre lui immense ; elle fut exactement celle qu’avait voulu M. de Morny. Le mouvement de résistance qui grandissait avec tant de force pendant la journée du 4 était brisé. Les survivants des barricades, les représentants du peuple qui essayèrent le 5 de recommencer L’agitation, ne purent entraîner une population glacée d’épouvante. Devant les cadavres ramenés des boulevards et exposés cité Bergère, la foule demeura morne, silencieuse. Les conseillers de l’Élysée pouvaient se rassurer : Paris républicain était vaincu ; le président triomphait.

Son triomphe avait déjà coûté de nombreuses morts : le Préfet de police disait 175, le chef de bureau de la salubrité « devant Dieu et devant les hommes » jurait qu’il y en avait 101 ; le Moniteur du 30 août 1852 en annonça 380. Les indices graves recueillis par les historiens font soupçonner que cette première saignée coûta davantage encore au peuple de Paris. De l’autre côté, Louis Napoléon avait fait tuer pour sa cause 27 soldats ; 180 environ avaient été blessés ; et ce nombre même atteste l’ardeur des 1.000 ou 1.200 hommes, au plus, qui occupaient les barricades.

Quels étaient-ils ? Des bourgeois ? Des ouvriers ? Des républicains modérés, défendant héroïquement les libertés constitutionnelles ? Des socialistes, pressentant dans la démagogie présidentielle la pire forme des réactions ? Nous avons recherché attentivement les manifestations de la pensée ouvrière, de la pensée socialiste pendant ces trois jours de bataille ; nous n’en avons, pour ainsi dire, point rencontré. C’est la loi de notre histoire démocratique : pendant toute la période de réaction, depuis Juin, le parti républicain, affaibli et débordé, avait une fois encore rassemblé toutes ses forces ; les ouvriers sentaient qu’il leur était impossible de poser de nouveau immédiatement leurs revendications sociales contre les républicains bourgeois ; et les démocrates bourgeois inversement se sentaient prêts, pour obtenir leur nécessaire concours, à de larges concessions. Les tendances diverses se confondaient : la lutte immédiate était trop rude.

Mais est-il vrai que la classe ouvrière ait trahi la République, le 2 Décembre ? Sous l’Empire et depuis, il s’est trouvé des républicains nombreux pour le lui reprocher, pour l’accuser même d’avoir laissé faire, ou secrètement approuvé le coup d’État.

Dans son livre récent sur le Parti républicain pendant le second Empire, M. Tchernoff a rassemblé les preuves du contraire. Il a repris encore une fois la liste du chef de bureau de la salubrité, M. Trébuchet : il a rappelé que sur 158 morts, elle comprend 101 ouvriers. Il a cité les correspondances du Journal de Genève, montrant que c’est des faubourgs ouvriers que partit l’agitation, le 2 et le 3 Décembre. Et il a rappelé fort à propos l’intérêt qu’avaient les publicistes officieux de l’Élysée, les Cassagnac et consorts, à