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sommes deux partis, vous le parti de l’ordre à tout prix, de la stabilité, nous le parti réformateur et alors, dans une description virulente il dénonça les misères de l’état social rongé par l’inégalité, tué par l’insolidarité » ; il mit en parallèle la vie jouisseuse d’un petit nombre et la masse, « la grande masse languissant dans la misère et dans l’ignorance, ici s’agitant sous une oppression implacable, là, décimée par la famine, partout croupissant dans les préjugés et les superstitions qui perpétuent son esclavage de fait ». Il fit, dans le détail, et avec une éloquence simple et saisissante, le tableau comparé de la vie du riche ci « le celle du pauvre ; il dit « la haine sourde entre la classe qui veut conserver et celle qui veut reconquérir », entre la classe parasite et la classe du travail désormais consciente. « Lorsqu’une classe, conclut-il, a perdu la supériorité morale qui l’a faite dominante, elle doit se hâter de s’effacer, si elle ne veut pas être cruelle, parce que la cruauté est le lot ordinaire de tous les pouvoirs qui tombent. Que la bourgeoisie comprenne donc que, puisque ses aspirations ne sont pas assez vastes pour embrasser les besoins de l’époque, elle n’a qu’à se confondre dans la jeune classe qui apporte une régénération plus puissante : l’égalité et la solidarité.par la liberté ». (Procès, p. 165).

Cette fois, les juges frappèrent plus rude. Varlin n’avait point plaidé l’indulgence. Ce fut pour chacun des prévenus, trois mois de prison, 100 francs d’amende. Ils en appelèrent. Le 19 juin, le jugement fut confirmé.

Le gouvernement avait donc réussi : l’Internationale parisienne était anéantie. Déjà, immédiatement après le premier procès, le nombre des membres, de 5 à 800 environ, était tombé à une centaine. Beaucoup ne se souciaient pas d’aller en prison. Quand les membres de la deuxième commission furent jugés et emprisonnés, ce fut pis encore. Murat restait sans doute en relations avec Dupont, le secrétaire général pour la France, à Londres. Le petit groupe de militants demeurait bien fidèle à ses idées ; mais l’association comme telle était morte. C’était Tolain qui en septembre, le déclarait au 3e Congrès, à Bruxelles : les adhérents français ne pourraient plus désormais servir la cause commune que par des efforts individuels.

Mais les sections françaises de l’Internationale ne devaient pas tarder à renaître ou à se réveiller. A l’heure même où avait lieu les derniers débats de ses procès, et tandis que les membres de la deuxième commission entraient a Sainte-Pélagie, se tenait à Paris, le 20 juin, la première réunion publique. La loi sur la presse et la loi sur les réunions, avidement utilisées par le peuple ouvrier et par le parti républicain, allait rendre aux masses la hardiesse de pensée et l’énergie d’action que de longues années d’oppression avait éteintes et que le dévoûment obstiné d’une poignée d’hommes avaient eu jusqu’alors tant de peine à réveiller. C’était désormais une foule avide d’apprendre et prompte à s’émouvoir, que les militants révolutionnaires allaient entraîner à la bataille, pour le renversement de l’Empire