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avait à expliquer pourquoi l’association aussi longtemps tolérée était devenue soudain un objet de poursuite. Il l’accusa donc d’avoir en quelque manière rompu le pacte de tolérance conclu tacitement entre elle et le Gouvernement, par le fait même qu’elle avait abordé les questions politiques.

Tolain qui avait été chargé de la défense générale, répondit en montrant qu’il était impossible « de distinguer la limite qui sépare la politique de l’économie sociale » et il railla finement l’avocat impérial qui y avait échoué. Il montra que la question des armées permanentes, que la question des impôts liaient des questions ouvrières : « Nous n’avons fait de politique, concluait-il, que celle qui ne peut pas se séparer des matières que nous avions à traiter, mais de politique pure nous n’en avons jamais fait. » — « A Roubaix, disait-il encore, le fabricant était à la fois législateur, magistrat et gendarme. Législateur, il prenait des arrêtés ; magistrat, il prononçait des condamnations pour infractions à ces arrêtés, et gendarme, il les faisait exécuter en mettant les délinquants à la porte de ses ateliers. Nous avons combattu cet état de choses monstrueux ; est-ce là faire de la politique ? » (Premier procès de l’Association internationale, p. 48-50). C’était, débattu entre l’avocat impérial et Tolain, le problème même qui se pose encore à l’heure présente avec tant d’acuité à nos organisations syndicales.

Le 20 Mars, les quinze prévenus, en qui l’avocat impérial avait bien voulu reconnaître « des ouvriers laborieux, intelligents, honnêtes », furent condamnés à 100 francs d’amende chacun. Ils firent appel et comparurent devant la cour impériale le 22 avril 1868. Ce fut Murat qui présenta la défense générale. Il fit un long historique de l’association et montra que par la force même des choses l’association internationale comme telle ne pouvait s’occuper de politique. « Tandis, déclarait-il, que la question du prolétariat, du salariat, du travail est la même aussi bien en Suisse qu’en France et en Amérique, la question politique se pose souvent pour un peuple à un point de vue différent » (page 80). Libre donc à chacun des membres de l’association de s’occuper de « politique dans les manifestations diverses auxquelles elle donne lieu dans les différents pays », c’est le devoir de tout homme et de tout citoyen (page 90). Mais l’association comme telle n’a pas à intervenir et elle n’est pas, affirmait-il, intervenue.

L’avocat général reprit la thèse de son confrère de la correctionnelle. Tolain répliqua vivement ; il montra qu’au fond ce qu’on poursuivait, c’était, en dehors de l’association même, l’attitude politique de ceux qui la composaient. Le procès était donc un procès de tendance : les prévenus affirmèrent hautement leurs tendances : « Nous autres socialistes, reprit Tolain, qui avons été mitraillés en juin et transportés au 2 Décembre… nous ne nous contentons point d’un mot ou d’une forme extérieure. Ce que nous désirons changer, ce sont les choses ; dans la société que nous rêvons, le travail sera la base constitutive. Nous avons donc cherché quel serait le rôle de l’État et à en donner une définition ». Et il montra que, dans la