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C’étaient, dit James Guillaume (I, 36) ; les délégués genevois qui avaient reçu mission de la poser ; et elle était destinée à « servir en quelque sorte de pierre de touche pour éprouver la sincérité républicaine de certains délégués parisiens ». Les délégués parisiens la votèrent, non point, croyons-nous, comme certains l’insinuèrent, pour dissiper les soupçons, mais parce qu’elle correspondait vraiment à leurs idées. Elle était ainsi conçue : « Le Congrès déclare :

« Considérant que la privation des libertés politiques est un obstacle à l’instruction sociale du peuple et à l’émancipation du prolétariat ;

« 1° L’émancipation sociale du travailleur est inséparable de son émancipation politique ;

« 2° L’établissement des libertés politiques est une mesure première d’une absolue nécessité ».

A la rigueur, encore, on aurait pu soutenir qu’il n’y avait pas là un changement de tactique. Les formules mêmes, dont usaient les Soixante dans leur manifeste de 1864, n’étaient pas absolument contradictoires à cette résolution du Congrès.

Mais il n’en est point de même de l’adhésion de l’Internationale au Congrès de la paix et de la liberté qui devait se tenir quelques jours plus tard, du 9 au 12 septembre, à Genève.

Qu’était ce Congrès, qui attirait à ce moment l’attention de toute l’Europe et qui faisait presque oublier le Congrès des ouvriers ? Il procédait de ce sentiment d’inquiétude que tous les démocrates avaient éprouvé à la pensée d’une guerre européenne possible, au lendemain de Sadowa ou lors de l’affaire du Luxembourg. Plusieurs ligues ou unions de la paix s’étaient alors fondées ; mais elles s’abstenaient de toute intervention dans le domaine politique. Était-ce logique ? Était-ce possible ? Beaucoup de démocrates-radicaux ne le croyaient pas. Ils estimaient au contraire et avec raison que le développement politique intérieur de chaque État était un facteur essentiel de la paix. Ceux d’entre eux qui écrivaient au Phare de la Loire rédigèrent un appel. Un comité clandestin s’organisa. Bientôt, les adhésions vinrent en masse, de tous les héros des luttes passées, des démocrates les plus illustres. Et la première question du programme manifesta clairement la pensée républicaine de ceux qui allaient se réunir.

« Le règne de la paix, demandait-elle, auquel aspire l’humanité comme au dernier terme de la civilisation, est-il compatible avec ces grandes monarchies militaires qui dépouillent les peuples de leurs libertés les plus vitales, entretiennent des armées formidables et tendent à supprimer les petits États au profit de centralisations despotiques ? Ou bien la condition essentielle d’une paix perpétuelle entre les nations n’est-elle pas, pour chaque peuple, la liberté, et, dans leurs relations internationales, rétablissement d’une confédération de libres démocrates, constituant les États-Unis d’Europe ? ».