vœux ouvriers. Dans leurs réunions, les délégués s’étaient trouvés d’accord pour revendiquer la liberté de former des chambres syndicales dans toutes les professions, l’extension du conseil des prudhommes avec une indemnité pour les conseillers, l’abrogation de l’article 1781 du Code civil et la suppression des livrets. Le 3 février, les délégués remettaient au ministre, sur sa demande, un mémoire écrit. Et le 30 mars, un rapport ministériel, approuvé par l’Empereur, déclarait que les chambres syndicales d’ouvriers jouiraient désormais d’une tolérance égale à celle dont jouissaient depuis de longues années les chambres patronales. Les ouvriers n’avaient eu qu’à parler : l’Empire n’avait-il pas immédiatement fait droit à leurs désirs ?
Mais c’est le résultat commun de toutes les manœuvres césariennes, de toutes les tentatives de canalisation ou de corruption du mouvement ouvrier, qu’elles se retournent presque fatalement contre leurs auteurs. Dans le dessein de gagner l’élite de la classe ouvrière, l’Empire avait machiné toute la mise en scène du passage Raoul. Il avait proclamé officiellement un régime de tolérance pour les associations syndicales. Elles allaient, sur l’initiative de la commission ouvrière elle-même, se multiplier (il s’en créa 67 à Paris de J868 à 1870) et préparer les troupes de l’Internationale.
Mais, en même temps, le problème de conscience que posait de nouveau le patronage impérial, achevait d’affiner chez les ouvriers le sentiment fécond de leur indépendance de classe et de leur dignité.
On aurait tort de se représenter en effet les hommes de la délégation ouvrière, comme des travailleurs soumis et serviles, sortes de politiciens jaunes, attachés à faire le jeu de l’Empire. Comme les hommes de la première commission, comme Coutant, comme Blanc, comme les amis mêmes du prince Napoléon, ils étaient préoccupés sincèrement des intérêts de leur classe. Ils pensaient — c’était leur marotte et c’était leur erreur — que le pouvoir seul pouvait les aider à défendre ces intérêts. Ils faisaient confiance aux promesses répétées du gouvernement impérial et pensaient seulement qu’il fallait souvent les lui rappeler. Mais ils n’auraient point souffert la moindre atteinte à leur indépendance, ni à leur dignité.
Tout au début des réunions du passage Raoul, par exemple, Davaud, dans un article de la Coopération du 30 juin 1867, avait insisté sur le caractère patronal et capitaliste de la Commission d’encouragement ; il avait déclaré que le « patronage » exercé par ses membres était plus étroit qu’en 1862 ; et il avait reproché aux délégués « de demander aux capitalistes l’argent nécessaire pour plaider la cause du travail ». L’assemblée tout entière unanimement protesta, et son mouvement de protestation a un caractère de spontanéité qui frappe. De même les tentatives de Chabaud, l’ancien président de 1862 — un véritable agent de l’Empire, celui-là — pour faire accepter aux délégués des offres directes « d’une personne qu’ils connaissaient tous », furent fraîchement accueillies ; Sans doute, trois d’entre eux acceptèrent bien, en janvier 1868, la décoration de la Légion d’honneur que leur décernait le