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instruction et pour son entretien, en cas de décès du chef de famille ; enfin vaste enquête sur les conditions du travail. Mais quelle que fût la qualité de ce labeur modeste, ce n’était point par lui non plus qu’on pouvait attirer les masses ouvrières.

Or, ii ce moment, aux environs de 1867, nous assistons comme à une nouvelle poussée du mouvement ouvrier que nous avons vu naître en 1863-64. La candidature ouvrière et la fondation de l’Internationale étaient sortis du premier ; l’Internationale révolutionnaire sortit du second. Ce n’est point parce qu’ils discutèrent avec les blanquistes ni parce qu’ils tinrent compte des opinions « du parti autoritaire », comme le dit Fribourg, que les Internationaux conquirent la confiance des masses ouvrières, mais parce que l’évolution économique et les événements politiques firent comprendre à des masses plus étendues la nécessité de cette organisation, et la contraignirent en même temps elle-même à prendre une allure révolutionnaire.

Il faut le marquer tout d’abord : l’année 1867 fut pour l’économie française, un moment, sinon de crise, au moins de fléchissement. Le crédit se resserra, les affaires languirent. Le commerce extérieur qui avait atteint 7.615 millions de francs en 1865 et 8.126 millions en 1866, tomba en 1867 a 7.965 ; et la diminution portait exclusivement sur les exportations. Les escomptes de la Banque de France étaient tombés de 6 milliards 556 millions en 1866 à 5 milliards 723 millions. A la fin de 1867, le bilan accusait le chiffre formidable de un milliard neuf cent dix-neuf mille francs en caisse. C’est ce qu’on appela la grève du milliard.

Ce fléchissement, passager d’ailleurs, et dû à des causes beaucoup plus générales que la bataille de Sadowa ou l’Exposition universelle de 1867, ne pouvait manquer d’avoir quelques répercussions.

La première, ce fut une recrudescence de l’opposition protectionniste. Les protectionnistes — c’était de bonne guerre — se refusaient à distinguer entre l’accident qu’était cette crise et les résultats généraux des traités de commerce. A Amiens, à Lille, à Roubaix, l’agitation fut vive, surtout au début de 1868. En mai de la même année, un grand débat eut lieu au Corps Législatif sur le protectionnisme et le libre-échange. Majorité et opposants s’y divisèrent. Les partis politiques, un moment, disparurent. On a vu dans les Chambres de la Troisième République des accidents analogues.

Pour la classe ouvrière même, le fléchissement économique fut sensible. A défaut de statistique des grèves, la statistique des poursuites pour atteinte à la liberté du travail montre que les conflits de travail durent être assez fréquents en 1867. En 1865, dans les premiers moments de la liberté de coalition, alors que les travailleurs s’essayaient à l’exercice du droit « nouveau, contesté, suspect » qu’on venait de leur accorder, les poursuites avaient été nombreuses : 87 affaires, suivies de 112 condamnations sur 145 prévenus. En 1866, on n’avait eu que 26 affaires, englobant 130 prévenus, dont 129, d’ailleurs, avaient été condamnés. Or, en 1867, nous notons un nouveau