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D’abord, que la proposition de Girardin procédait d’une exacte connaissance des faits. Il était impossible, Le 2 Décembre, de tourner les soldats contre Le pouvoir : les troupes, enivrées d’alcool et d’enthousiasme bonapartiste étaient toutes dévouées au président. D’autre part, la bourgeoisie avait peur de L’émeute, peur de la Révolution, peur de 1852. Enfin, L’idée de grève générale répondait bien, telle que l’imaginait Girardin, à cet état d’hostilité et de découragement tout à la fois, où se trouvait le peuple. Mais, d’autre part la grève générale, non seulement des travailleurs, des producteurs mais aussi de tous les marchands, l’arrêt de toute la vie sociale était une impossibilité, non seulement avec une classe ouvrière non encore organisée, mais encore et surtout dans une nation qui ne se sentait pas animer d’un sentiment de révolte unanime contre l’auteur du Coup d’État. L’appel aux armes des républicains n’échouait pas comme appel aux armes, mais parce que le peuple insurrectionnel de Paris, désorganisé, n’était plus en état d’agir ; le moyen nouveau de la grève générale eût été, lui aussi, cette fois, et en raison même de l’incertitude de l’opinion, inefficace.

Le jeudi 4 Décembre décida de la lutte. M. de Maupas avait fait afficher dès le matin une proclamation significative. « Les stationnements des piétons sur la voie publique et la formation de groupes seront sans sommations dispersés par la force. Que les citoyens paisibles restent à leur logis. » L’Élysée avait décidé qu’il aurait sa journée !

La foule, dès le matin, était immense sur les boulevards, foule agitée, secouée par les nouvelles les plus étranges, les plus fausses. Les ouvriers y dominaient ; depuis deux jours, les sentiments républicains regagnaient les cœurs, aidaient à secouer le découragement. Du Château-d’Eau au Boulevard Bonne-Nouvelle, et dans toutes les petites rues qui de là mènent à la Seine, des barricades s’élevaient. On avait trouve trois-cents fusils à la mairie du Ve, rue du Faubourg Saint-Martin. Du boulevard Montmartre à la Chaussée d’Antin, dans un quartier que, dès alors, on voyait rarement sympathiser avec les mouvements populaires, une vive agitation régnait. Les « gants jaunes », comme les ont appelés, dans leur dépit de les avoir trouvés contre eux, ce jour-là, les historiens bonapartistes (lisez : la jeunesse lettrée et aisée du commerce parisien) disaient leur colère contre les fauteurs de Coup d’État et houspillaient les officiers qui passaient. Sur la rive gauche, enfin, les étudiants s’agitaient, et, pauvres impuissants, désespérés de ne pouvoir passer les ponts, occupés par la troupe, ils ébauchaient des barricades, rue de la Harpe, rue des Mathurins-Saint-Jacques, rue Dauphine. Maintenant, qu’un régiment hésite ou qu’une légion sorte, s’écriait Jules Favre, et Louis-Napoléon est perdu ! » Et M. de Maupas télégraphiait a l’impassible Morny : « Laisser grossir maintenant serait un acte de haute imprudence. Voilà le moment de frapper un coup décisif. Il faut le bruit et l’effet du canon, et il les