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L’acte important du Congrès, ce fut évidemment l’adoption de la déclaration préliminaire et des statuts de l’Internationale, dont nous avons parlé plus haut. Mais déjà l’on put sentir quelques-unes des oppositions qui allaient se manifester au sein même de l’association.

Les Parisiens firent approuver leur mémoire ; mais sur le point capital des relations du capital et du travail, les délégués de Londres, inspirés par Marx qui avait écrit leur programme, firent des réserves. Ils rappelèrent que les luttes ouvrières étaient pour eux l’essentiel ; ils demandèrent au Congrès une déclaration limitative des heures de travail et l’appui de l’organisation internationale pour atteindre ce but. Les Parisiens défendirent leur conception anti-gréviste, et « au nom de la liberté des contrats et des contractants » repoussèrent l’idée d’une intervention de l’Internationale dans les conflits de travail. Opposant, pour employer des termes modernes, une conception purement coopérative à la conception syndicaliste dés Anglais, ils développèrent un projet qui faisait de l’Internationale une « société coopérative universelle à capital variable, et à mise mensuelle égale », ouvrant partout des magasins où les associés feraient des échanges égaux, et commanditant « les associations coopératives qui lui sembleraient réaliser l’idée de justice et de solidarité entre tous les membres ».

La résolution prise par le Congrès tint compte du présent, selon le vœu anglais ; aux Proudhoniens…, elle donna l’avenir. « Le Congrès, disait-elle, déclare que, dans l’état actuel de l’industrie, qui est la guerre, on doit se prêter une aide mutuelle pour la défense des salaires. Mais il est de son devoir de déclarer en même temps qu’il y a un but plus élevé à atteindre : la suppression du salariat. Il recommande l’étude des moyens économiques basés sur la justice et la réciprocité ».

Cette résolution contradictoire et le débat même dont elle était le résultat indiquaient par avance le drame qui allait se jouer. Ceux des Internationaux qui voulaient tenter de réaliser le proudhonisme devaient être débordés par le mouvement ouvrier lui-même. La politique à suivre, c’était la politique réaliste de Marx, qui, dès alors, comme il l’expliquait à Kugelmann dans une lettre du 9 octobre 1866, se limitait « aux points qui permettent une entente immédiate et une action commune des ouvriers, et qui donnent immédiatement un aliment et une impulsion aux besoins de la lutte de classe et à l’organisation des ouvriers comme classe ». Les circonstances, plus fortes que les hommes et que leurs théories, allaient ramener les ouvriers parisiens et les Internationaux français à cette politique révolutionnaire.

Sur l’heure cependant, en cette fin de 1866, ils furent encore une fois occupés de leurs démêlés avec les Blanquistes. A Genève même, Protot, Alphonse Humbert, Jeanou, Lalourcey avaient été admis au Congrès, malgré leur opposition, et leur avaient reproché là leurs prétendues accointances avec le Palais-Royal. Brusquement cependant, et sans que nous sachions