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récitent, la majorité des Internationaux parisiens estiment que l’enseignement donné par l’État ne peut être qu’uniforme, qu’il tendra fatalement à modeler toutes les intelligences selon le même type, que « ce sera l’immobilisme, l’atonie, l’atrophie générale au détriment de tous ». C’est dans la famille, dans la famille où doit demeurer la femme, la mère, aujourd’hui attachée à l’atelier, aujourd’hui victime d’une honteuse exploitation, que l’enseignement doit être donné. Si la famille n’y suffit, les pères pratiqueront entre eux l’assurance mutuelle.

Varlin et Bourdon — notons-le — ne furent pas de cet avis. Pour éviter l’injustice, pour assurer à tout enfant le bénéfice de l’instruction, ils réclamèrent, eux, l’enseignement par l’État, mais avec une liberté d’initiative et une variété de programmes, auxquelles ont trop rarement songé nos modernes réformateurs.

Précisant ensuite l’état de la société future, le Mémoire se prononçait contre l’association, —- mot par lequel les Internationaux entendaient le communisme autoritaire,— et pour la coopération, qui, au lieu d’annihiler les individus, d’en faire non des personnes, mais des unités, « groupe les hommes pour exalter les forces et l’initiative de chacun ».

Les délégués parisiens condamnaient les grèves. La lutte du capital et du travail est, pensaient-ils, toujours mauvaise. Il faut la supprimer « en établissant l’échange sur les bases de la réciprocité » ; en réformant l’enseignement professionnel ; en empêchant certaines branches de s’encombrer et de créer un surplus de bras disponibles, favorable aux pires exploitations. — Ils condamnaient encore l’impôt, dernière forme de l’antique sujétion, l’impôt que paient surtout les travailleurs et avec lequel on entretient des institutions dirigées surtout contre eux ; « en sorte que le prolétariat travaille non-seulement pour la caste qui le dévore (celle des capitalistes), mais encore pour celle qui le flagelle et l’abrutit ». Ils condamnaient les armées permanentes, parce qu’elles sont destructrices de la production, en enlevant au travail des millions d’hommes, en détruisant par la guerre le travail fait, en amoindrissant par la discipline la moralité du peuple. Ils dédaignaient enfin la querelle entre protectionnistes et libre-échangistes. Ce qu’ils voulaient, eux, c’était « la liberté d’organiser l’échange égal entre producteurs, service pour service, travail pour travail, crédit pour crédit ». Ils ne demandaient enfin aux croyants de toute confession que de ne point faire intervenir « leur Dieu » dans les rapports sociaux, et de pratiquer la justice et la morale.

Tout le mémoire vaut mieux que cette trop brève analyse. Il renferme des pages sincères, émouvantes, où les théories du maître se trouvent vraiment repensées, vécues par les disciples. Je comprends l’attachement avec lequel en parlent les vieux militants qui collaborèrent à sa rédaction. Mais, replacé à côté du manifeste des Soixante, de tous les documents qui nous restent de la candidature ouvrière et de la fondation de l’Internationale, il détone bizarrement. Les vieilles formules, jaillies comme un cri de