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mais ils cherchaient aussi de toutes les manières à gagner la confiance des prolétaires républicains.

Le mouvement ouvrier, que nous avons vu se dessiner vers la fin de 1863, se développait alors sous toutes ses formes. Tandis que les coopérateurs, en majorité républicains, faisaient paraître leur Association, tandis que Beluze préconisait le Crédit au Travail, le gouvernement impérial et les Bonapartistes continuaient leurs tentatives pour faire approuver et célébrer par des ouvriers. « par la classe ouvrière » les bienfaits dus à l’Empereur ou encore attendus de lui. Parmi les clients de l’Empire, il en était de diverses sortes. Il y avait les hommes que le financier Hugelmann enrôlait dans la Société nationale pour l’extinction du paupérisme. Ceux-là faisaient appel ouvertement au patronage impérial (art. 2 des statuts), et de même que les catholiques invoquent l’intercession des saints auprès de leur bon Dieu, ils « priaient l’Empereur de choisir pour intermédiaire de ce protectorat auprès d’eux.., le duc de Persigny ! » Quel style, et quelles conceptions ! Moins avilis certainement étaient les hommes du Palais-Royal et des brochures ouvrières, comme le typographe Bazin qui collaborait de juin à août 1865 au journal le Pays. Comme l’opposition parlementaire, au gré de Bazin, ne s’inquiétait pas assez des ouvriers, il faisait appel à l’Empereur ; mais sa critique de l’état social — il est honnête de le marquer — était au fond la même que celle des ouvriers républicains. A l’Opinion Nationale, deux anciens amis de Tolain, mais qui semblent s’être arrêtés au quart du chemin, J.-J. Blanc, l’ancien candidat ouvrier et Coutant suivaient le mouvement des grèves et continuaient de lutter pour la reconnaissance des associations professionnelles.

En face de toutes ces tendances, séparées souvent par des nuances presque insensibles, et en présence des soupçons républicains ou blanquistes, les ouvriers de l’Internationale avaient le devoir de préciser leurs conceptions. En juin 1865, ils avaient fondé la Tribune ouvrière : au bout de quatre numéros, l’administration la supprima. De la fin de juin au milieu d’août, ils collaborèrent à l’Avenir National, le journal républicain fondé par Peyrat. Ainsi se distinguèrent-ils bien des bonapartistes du Pays. Mais ni leurs déclarations, ni la suppression de la Tribune ouvrière, interdite « moins pour ce qu’elle disait que pour ce qu’elle aurait pu dire un jour », ne pouvaient désarmer le groupe des proscrits de Londres ni les Blanquistes. Comme nous l’avons dit, à la conférence de septembre qui remplaça le 1e Congrès prévu pour cette année 65, les Parisiens et les proscrits se heurtèrent : Tolain, Fribourg, Limousin et Varlin eurent maille à partir avec Vésinier et Lelubez sur la question polonaise. Les premiers, fidèles à leur tactique, à leur résolution de traiter uniquement des questions ouvrières, refusaient d’inscrire cette question à l’ordre du jour du prochain Congrès ; les autres dénonçaient ce refus comme une manœuvre bonapartiste. La conférence se borna presque uniquement à établir l’ordre du jour du Congrès, convoqué à Genève pour septembre 1866. Pourtant, sur la demande