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timidité et leur modérantisme, ces libres et vivants esprits allaient être poussés plus loin qu’ils ne le croyaient eux-mêmes par leurs patientes études, et que la logique même de leur action devait les pousser eux ou leurs collaborateurs immédiats à la politique au sens large du mot, et à la révolution. Quelques-uns, fatalement, sans doute, devaient s’arrêter à mi-chemin ; mais il ne faut pas oublier que Varlin, que Malon, que Camélinat furent des ouvriers de la première heure, des membres du premier grand bureau (Fribourg, p. 34), avec Tolain ou Fribourg. Et de même que Tolain ou Limousin inspirés par la conscience de leur classe étaient passés de la pure défense corporative à la candidature ouvrière et à l’association internationale, de même, par une évolution naturelle, fatale, leurs amis allaient passer de l’étude un peu étroite des questions sociales à une action révolutionnaire, mais d’une forme nouvelle, politique et sociale tout à la fois.

Force nous est, hélas ! de laisser de côté toute la vivante histoire des théories de l’Internationale, — et aussi la vie quotidienne de l’association même, du Conseil général, des sections nationales, des groupes locaux, premiers germes semés sur le monde entier, — et germes indestructibles, — de la société nouvelle ! Nous n’avons pu dans ces quelques pages que replacer l’effort d’émancipation du prolétariat dans l’histoire du Second Empire. C’est à cela encore que nous devons nous borner, en parlant de l’Internationale.

Donc en ces débuts de 1865, rue des Gravilliers, 44, les Internationaux s’étaient mis à l’ouvrage. « Un petit poêle de fonte cassé, apporté par Tolain, une table en bois blanc servant dans le jour d’établi à Fribourg pour son métier de décorateur, et transformée le soir en bureau pour la correspondance, deux tabourets d’occasion auxquels quatre sièges de fantaisie furent adjoints plus tard, tel fut pendant plus d’une année, le mobilier qui garnissait un petit rez-de-chaussée exposé au nord et encaissé au fond d’une cour, où se condensaient sans cesse des odeurs putrides. C’est dans cette petite chambre de 4 mètres de long sur 3 mètres de large que furent débattus, nous l’osons dire, les plus grands problèmes sociaux de notre époque » Fribourg, p. 23).

Lentement, difficilement, les adhésions vinrent : des sections furent formées à Puteaux, à Saint-Denis, à Vanves, à Montreuil ; — à Rouen, au Havre, à Caen, à Amiens, à Lyon, à Saint-Etienne, à Roubaix, des groupes furent créés. Quelques bourgeois donnaient leur adhésion ; Henri Martin, Chaudey, Corbon, Ch. Beslay, Jules Simon même ! Quelques journalistes parlaient sympathiquement de l’effort ouvrier. En sept mois cependant, on n’avait point groupé plus de cinq cents adhérents.

Les secrétaires parisiens évitaient prudemment tout ce qui pouvait avoir l’apparence d’une manifestation politique, tout ce qui aurait pu donner barre sur eux à l’administration ; ils usaient de toutes les subtilités juridiques, afin de pouvoir poursuivre en paix leur œuvre d’organisation et d’éducation ;