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politiquement trop compromis aux yeux des correspondants parisiens ; c’est elle qui suscite le différend entre Blanquistes et Proudhoniens, soit à Paris, soit à la première conférence, à Londres en 1865, où nos pères occupèrent déjà, tout comme nous autres, les camarades étrangers de leurs querelles passionnées. Et c’est toujours parce qu’ils se posent cette question et parce qu’en majorité ils la résolvent dans le sens blanquiste, dans le sens politique, que les travailleurs parisiens soupçonnent si longtemps, si obstinément les fondateurs de l’Internationale d’être des bonapartistes honteux, des agents du Palais-Royal, et se refusent à adhérer à l’association nouvelle.

Nous avons retracé trop longuement les origines mêmes des Internationaux pour avoir besoin de les justifier de cette accusation. Fribourg a raconté par quelle ruse Tolain et lui réunirent les principaux militants des syndicats ou plutôt des sociétés de secours mutuels de Paris et se justifièrent devant eux de l’ignoble calomnie de « césarisme plomplonnien » Ils les convoquèrent individuellement à une conversation qu’ils croyaient particulière et où tous se rencontrèrent et s’expliquèrent. D’ailleurs, si les Blanquistes reprenaient avec la passion ordinaire de frères ennemis l’accusation de servir l’Empire, les socialistes impartiaux qui n’étaient pas engagés dans cette lutte et qui tentaient de réunir en un même faisceau tous les groupes révolutionnaires, ne soupçonnaient en rien les Internationaux. Comme, dans un petit journal belge, intitulé l’Espiègle, Vésinier, un blanquiste de Londres, continuait brutalement cette attaque, Charles Longuet qui, notons-le bien, malgré son proudhonisme, pensait « qu’une révolution politique seule pouvait assurer au peuple le triomphe de ses revendications » (29 juillet 1865, lui répondait en se portant garant du républicanisme de Tolain, de Limousin ou de Fribourg (Rive Gauche, 18 mars 66).

« Nous remarquons, disait-il dans une page de fin bon sens, que si les délégués ouvriers parisiens avaient le moindre penchant pour le bonapartisme et étaient décidés à le servir, ils devraient non pas cacher leur drapeau, mais le déployer tout grand, comme l’ont déployé quelques ouvriers parisiens qui firent l’an dernier du pseudo-socialisme au Pays.

« Ce serait rendre un mauvais service au gouvernement impérial que d’agiter les masses ouvrières au nom de la reforme sociale, sans leur parler de révolution, je le veux bien, mais aussi sans les habituer à attendre leur rédemption de l’Empereur, en développant au contraire leur activité et leur initiative. C’est à cette œuvre digne de tous nos encouragements que se sont dévoués les délégués parisiens, et s’ils ont su jusqu’ici, à force de calme, de prudence et d’habileté, continuer cette lutte utile, ce n’est pas, il nous semble, un motif de les tenir en suspicion ».

C’était là, par avance, le jugement de l’histoire. Longuet comprenait admirablement quelle force révolutionnaire latente renfermait l’Internationale ; il pressentait avec exactitude la fécondité de l’action méthodique, prudente et cauteleuse des Tolain ou des Limousin ; il sentait que malgré leur