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Lelubez répondait : « Notre déclaration de principes n’a pas été très bien traduite, et même quelquefois le sens est complètement changé » ; et il donnait la traduction exacte du paragraphe anglais : « comme un moyen ».

Incontestablement, cependant, avec la traduction exacte ou inexacte, une divergence existait parmi les socialistes ou dans l’Internationale même. Les uns, demeurant dans la pure tradition du républicanisme social de 1834 ou de 1848, entendaient « que la réforme sociale était le but, que la révolution politique était le moyen », le moyen nécessaire, inéluctable, dont il se faudrait servir pour atteindre le but. Les Blanquistes étaient de ceux-là. Ils n’admettaient point de République qui ne fut sociale : mais ils ne croyaient point non plus qu’on pût réaliser une parcelle de socialisme sans avoir préalablement renversé l’Empire.

Les candidats ouvriers, les fondateurs ouvriers de l’Internationale, estimaient au contraire que la transformation politique était vaine si elle n’était pas l’expression d’une transformation sociale. Ils pensaient au fond que c’était à l’amélioration de la condition ouvrière qu’il fallait d’abord travailler, et qu’une révolution politique faite par des ouvriers non organisés, misérables et ignorants, serait socialement inefficace. Ils pensaient que la tâche première était, même sous le régime présent, d’obtenir les réformes indispensables à la vie ouvrière. Et, républicains très fermes, très décidés souvent, ils considéraient la bataille politique comme « subordonnée », c’est-à-dire comme secondaire. « En lisant ce passage, — toujours le paragraphe sur les deux actions, — raconte Fribourg (L’association internationale, p. 151 note 12), Tolain ne put se défendre d’un mouvement de joie : « Enfin, dit-il à ses collègues, on ne pourra plus dire que c’est nous seuls, qui voulons absolument que la question politique ne passe pas avant tout. ». Les intellectuels proudhoniens, comme Vermorel, précisaient aussi cette pensée. Dans le premier numéro du Courrier Français, qu’ils venaient de reconstituer, ils définissaient ainsi leur programme, et les Internationaux de Paris sûrement l’auraient contresigné : « S’attaquer aux formes du gouvernement qui ne sont, après tout, que l’expression de l’état social, ce serait se briser aveuglément contre la force des choses ; et alors même que nous parviendrions à l’ébranler à notre profit, elle ne tarderait pas à se retourner fatalement contre nous.

C’est dans ses causes véritables — l’ignorance et la misère — qu’il faut attaquer et vaincre le despotisme moderne.

A l’action politique nous voulons substituer l’action sociale ».

Grave, angoissante question que le prolétariat républicain ne pourra jamais résoudre définitivement, qui se posera et se reposera constamment à lui, jusqu’au jour où il l’aura supprimée par l’établissement de la République Sociale ! — C’est elle que nous retrouverons après quelques mois, sous une forme nouvelle, dans les luttes entre marxistes et bakouninistes ; c’est elle qui crée les premiers tiraillements entre le bureau de Paris et Henri Lefort,