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Lafargue, les inexactitudes de la première traduction française furent corrigées (James Guillaume I, 285), la correction même parut tendancieuse, et d’autant plus que la traduction nouvelle rendait as a means, par ces mots : « comme un simple moyen ». Alors, en effet, la querelle s’élevait déjà entre marxistes et bakouninistes, entre socialistes soucieux de l’action politique et socialistes anti-politiciens.

« Pour les hommes de Londres, dit James Guillaume, les mots as a means étaient censés signifier que l’action politique était obligatoire ».

Question de mots, dira-t-on ! — Bien sur ; mais quiconque a tant soit peu milité connaît l’importance des mots. De 1864 à 1870, on peut dire que toute l’histoire de l’Internationale parisienne et de tout le socialisme français tourna autour de cette simple phrase : « L’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique ». Toutes les inquiétudes, tous les doutes des esprits les plus compréhensifs, les plus avertis, tournent autour de cette phrase ; tous les tiraillements entre groupes, entre Blanquistes et Internationaux, tous les désaccords entre les hommes, entre les syndiqués de la première heure et les révolutionnaires de la seconde, se rattachent, en dernière analyse, à l’interprétation qu’ils donnent de cette pensée, aux conséquences pratiques qu’ils en déduisent. Ici encore nous ne pouvons donner que quelques indications : mais celui-là rendra un signalé service à la science d’une part et à la conscience socialiste d’autre part, qui fera l’étude minutieuse, précise, de toutes les formules émises de 1864 à 1870 sur les rapports de l’action politique et l’action sociale. C’est là une question capitale dans l’histoire des idées sociales à la fin du XIXe siècle.

Lorsque la traduction du règlement provisoire de l’Internationale parut, en cette fin de 1864, le paragraphe en question reposa simplement la question qu’avaient posée au début de l’année le manifeste des Soixante et la candidature Tolain. Malgré le patronage de ses trois démocrates, on avait accusé Tolain de diviser, d’affaiblir l’opposition républicaine, de faire volontairement ou non le jeu de l’Empire, de détourner la classe ouvrière de la vraie lutte politique, de la lutte pour la liberté. Parce qu’il réclamait, de l’Empire même, les améliorations à la condition ouvrière, il semblait plus ou moins indifférent à la forme politique. Était-ce cette indifférence qu’exprimait la fameuse formule du manifeste ?

Henri Lefort, l’ami des proscrits de Londres et des Internationaux, le républicain ardent, s’en inquiéta. Dans une lettre adressée à Lelubez le 4 février 1865 et qu’il cité M. Tchernoff (p. 453), il marque les scrupules de plusieurs républicains, entre autres de Horn l’économiste, « qui, dit Lefort, comprend que nous mettons de côté la politique et que nous croyons qu’on peut arriver à des progrès économiques indépendamment de la politique, Il dit qu’il y a une tendance fâcheuse à cela dans une partie de la classe ouvrière en effet ; c’est le bonapartisme, c’est la démocratie impériale… » Or