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Les autorités universitaires gardiennes de la morale et des dogmes condamnèrent à des peines diverses ces étudiants révolutionnaires. Mais les républicains libéraux eux-mêmes les désavouèrent ; le « pontife de l’Opinion nationale » les accabla de trois articles ; et « un des vénérables du jacobinisme, rédacteur d’un journal prétendu démocratique, disait d’eux : « Si mon fils avait émis et soutenu de pareilles doctrines, je l’enverrais dans une compagnie de discipline ».

« Maintenant, concluait Lafargue, comprenez-vous pourquoi nous détestons autant le constitutionnalisme que l’impérialisme, que le jacobinisme ? »… Il y avait un abîme en effet, entre l’opposition constitutionnelle parlementaire et l’opposition révolutionnaire qui dès alors s’essayait.

Il importe, dans cette opposition même, de marquer des nuances. Les uns s’attachaient davantage à Blanqui, les autres à l’œuvre de Proudhon. Dans un article du 5 novembre 1865, Longuet tentait de définir les deux esprits, les deux tendances. Les rédacteurs du Candide selon lui attachent trop d’importance aux hommes et pas assez aux institutions ; « Ils marchent, s’empresse-t-il d’ajouter, dans une voie qui est la nôtre. Pourtant, sans nier l’importance de la question économique, ils semblent se préoccuper davantage de la question religieuse ou métaphysique que nous mettons au second rang ou du moins que nous croyons pouvoir résoudre par la suppression du budget des cultes, par l’enseignement organisé d’après les principes si admirablement exposés dans le dernier livre de Proudhon, et surtout par la réforme économique ». Au contraire, dit Longuet, « les vingt ou trente jeunes gens qui ont fondé la Rive Gauche comptent sur la force de collectivité (en italiques dans le texte], qui dans la période révolutionnaire surtout peut accomplir en quelques mois l’œuvre d’un siècle ».

Peut-être, concluait-il, est-ce trop accentuer les nuances. Les deux groupes se feront des concessions et peut-être même se fondront, « pour se réunir contre l’ennemi commun, c’est-à-dire contre ceux qui ne veulent pas comme eux le triomphe complet et définitif de la Révolution sociale ».


Sur l’heure cependant, une querelle allait s’élever entre les deux groupes. Elle avait pour cause leur attitude à l’égard des ouvriers déjà organisés, à l’égard de l’Internationale.

Nous avons laissé, en effet, les Internationaux parisiens au lendemain du meeting de Saint-Martin’s Hall, alors que se constituait le premier Conseil général. De retour à Paris, Tolain, Limousin et leurs amis, se préoccupèrent d’établir solidement leur groupe. En novembre, ils recevaient du Conseil général le pacte fondamental. Un « ami sûr », traducteur moins sûr en donnait une version française, et le petit groupe parisien le faisait imprimer à plusieurs milliers d’exemplaires. Ce document contenait à la fois un règlement et des considérations préliminaires. Ces dernières doivent être reproduites :

« Considérant,