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jettent plus à la face ; qu’ils les brûlent plutôt. Ces lettres sont écrites non à eux, mais aux fantômes de notre imagination juvénile.

« Nous avons appris à connaître ces hommes… Alors nous avons brusquement rompu avec eux. Leurs salons ouverts pour nous à deux battants ont été désertés. On se caserna au quartier Latin, et on ne fréquenta que des ouvriers. »

Ainsi, en politique, vis-à-vis de l’Empire, opposition irréductible. La jeunesse est avec ceux qui ne pactisent pas ; elle ne peut être avec l’opposition parlementaire. Mais il y a des vieux de 1848 aussi qui ne pactisent pas : est-ce avec ceux-là que lutte la jeunesse ? la nouvelle génération reprend-elle donc à son compte leurs idées, leurs théories ?

En aucune manière. — Ces hommes, d’ailleurs honorables, qui veulent « replâtrer 1848 » ne comprennent pas que l’égalité politique sans l’égalité économique est précaire. « Le parti de 1848 se renferme étroitement dans son idéal purement, honnêtement républicain, mais anti-radical, anti-socialiste et condamné par conséquent à disparaître comme toute utopie et toute vaine déclamation. » Les jeunes ne sont pas de ce parti.

C’est que par-delà l’année 1851, ils ont recherché la raison de la situation dont ils souffrent. « Condamnés au silence et à l’étude par l’Empire, ils se mis au travail ». Ils ont étudié l’histoire, l’histoire du peuple surtout, et non plus celle des grands premiers rôles. Dans les Écoles de France, Tridon a raconté déjà ce que furent les Hébertistes, ces représentants authentiques de la foule révolutionnaire. Les jeunes ont appris que, si la liberté politique a été anéantie, c’est que les nécessaires réformes sociales n’ont pas été accomplies. La nouvelle génération, déclare Paul Lafargue, a compris qu’il était nécessaire de changer non-seulement le gouvernement, mais la société même « qui l’a produit et qui le soutient ». « Nous savons que tant que nous n’aurons pas changé la société, rien ne sera fait ; nous aurons toujours des empires, moins le nom peut-être, mais qu’importe le nom ? La cause restant la même, le même effet se produira ».

Il faudra donc travailler à résoudre la question sociale, « la plus formidable de toutes », déclare le prospectus de la Rive Gauche. Tous lisent, relisent, commentent et développent Proudhon. Longuet, Lafargue (avant d’avoir connu Marx), Vermorel, Pierre Denis, César de Paepe (encore à cette époque), et une foule d’autres sont des Proudhoniens décidés. Socialisme mutuelliste, principe économique de la réciprocité et principe politique du fédéralisme, ce sont les formules accoutumées. Au Courrier Français et à la Rive Gauche collaborent les disciples directs du maître, Chaudey et Duchêne : Là déclaration par laquelle débuta le Courrier Français le 20 mai 1866, est entièrement proudhonienne.

Mais toute cette jeunesse subit une autre influence, profonde, ineffaçable chez beaucoup, celle de Blanqui. Le 14 juin 1861, après deux ans de liberté, « ce maniaque de conspiration », comme l’appelle dédaigneusement Taxîle