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sentit que son humiliation. Depuis des années, les agents bonapartistes avaient surexcité le nationalisme français : l’Empereur s’était efforcé de réconcilier tous les partis sous le manteau de la gloire impériale. Le déclin de son influence en Europe devait également tourner contre lui tous les partis.

Ce fut un déchaînement. La nation tout entière parut soudain comprendre l’argumentation de Thiers. L’opinion française réclama une revanche. La politique de la revanche ne date pas de 1870 ; elle date de 1866, du lendemain de Sadowa.

Les libéraux de la veille, les tenants des nationalités, les hommes de la « politique des principes », se retrouvèrent pour la développer. « Les admirateurs de M. de Bismarck, raconte Pessard, qui a bien noté ce revirement de l’opinion, voulaient lui arracher la peau du dos. » (Mes petits papiers, I, 177). Quinet, G. Sand, Daniel Stern, les républicains, s’élevaient contre cette œuvre anti-française ; les conservateurs rappelaient les prophéties de Thiers ; et les bonapartistes, soucieux de l’avenir dynastique, poussaient à la guerre.

Ce fut une heure grave, que celle où tous les partis, retournés ainsi contre l’Empire, lui demandèrent de nouveau et avec plus de véhémence, de donner satisfaction à l’amour-propre national. L’Empereur, toujours guidé par le souci dynastique et par les préoccupations intérieures, se sentait contraint de répondre à ces désirs. Il allait recourir encore à la « politique des pourboires » ; il allait, sous l’unique réserve du consentement des peuples, réclamer des annexions ; mais il allait aussi, en les réclamant, heurter les ambitions germaniques, les idées de la race allemande. Tous les patriotes d’outre-Rhin, en effet, tous les unitaires, au lendemain de la victoire, s’étaient groupés derrière Bismarck et derrière les armées prussiennes ; les députés libéraux, qui lui avaient mené une si rude guerre au Parlement, lui avaient pardonné ses violences et ses coups d’État ; ils allaient être désormais avec lui les défenseurs de l’intégrité du territoire allemand. De nation à nation, une querelle se formait, éveillant des passions de plus en plus redoutables.

Il eût été prudent de la part du gouvernement français de ne point surexciter les sentiments nationalistes qui bouillonnaient déjà des deux côtés du Rhin. Si les forces défensives de la France étaient insuffisantes pour la garantir contre les ambitions germaniques, il fallait les affermir. Napoléon III, au contraire, s’ingénia, comme à plaisir, à éveiller les soupçons et à s’attirer des humiliations.

Dès le moment des négociations de Nikolsbourg, entre l’Autriche et la Prusse, Benedetti « le Petit Corse enragé » avait apporté à Bismarck les demandes de la France : « une note d’aubergiste, disait le Prussien, Mayence et une partie de la rive gauche du Rhin ». Bismarck avait répondu : « Pas un pouce de territoire germanique ! » Et il s’attendit à la guerre. L’Empereur ne fit point