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pagandiste, qu’elle soit maudite ». Et Vermorel, à son tour, reprend l’accusation : « L’Italie a troublé la paix du monde ; au lieu de profiter de la position que lui avait faite le concours de la France pour affermir chez elle la liberté et la prospérité, elle s’est jetée volontairement dans des aventures insensées. Qu’elle supporte donc toute la responsabilité de son entreprise ».

Les socialistes ne se laisseront donc pas entraîner par les préjugés nationalistes, dont le parti républicain n’est pas encore dégagé. Ils savent qu’il n’y a de sécurité pour l’Europe que dans le développement de la liberté des peuples ; que dans la suppression des pouvoirs militaires, des États de force et de brutalité ; et s’ils s’inquiètent à la pensée d’une guerre, s’ils s’opposent déjà de toutes leurs forces aux entraînements nationalistes, c’est qu’ils redoutent de voir la classe ouvrière de tous les pays, à l’heure même où elle commence de s’entendre, de collaborer universellement à l’œuvre de son émancipation, détournée de cette tâche par les préjugés politiques et nationaux.

Rien de plus frappant à cet égard que les adresses échangées entre les groupes d’ouvriers, d’employés et d’étudiants, de Londres et de Paris. A l’adresse des étudiants de Paris que nous avons citée plus haut, des « ouvriers de tous pays » avaient répondu de Londres, et le Conseil central de l’Internationale, sans prendre officiellement à son compte leur adresse, s’était chargé de recueillir les adhésions qui pourraient lui être données. D’ailleurs les signataires, Dupont, Shaw, Lelubez, Eccarius, Lessner étaient tous membres de l’association. Les ouvriers, disait l’adresse, maudissent la guerre, comme les étudiants ; car c’est eux qui en portent le fardeau, c’est eux que le canon broie par milliers sur les champs de bataille. « Le pauvre n’a pas de patrie ; par tous les pays il endure les mêmes maux ; aussi il comprend que les barrières dans lesquelles les puissants avaient parqué les peuples pour mieux les asservir doivent tomber ». Et les ouvriers de tous pays invitaient leurs frères à ne pas se laisser détourner par l’enthousiasme guerrier de la préparation du Congrès ouvrier fixé en septembre.

A leur tour, les membres parisiens de l’Internationale rédigeaient une adresse. Ils y rappelaient en termes éloquents la montée générale de la démocratie. La démocratie, disaient-ils, n’est ni anglaise, ni française ; elle est universelle. Elle appelle toutes les nations au Congrès ouvrier, qu’elle tiendra en septembre pour résister au développement de la féodalité financière et de la misère qui en résulte. Déjà des liens de solidarité s’établissent ; une idée nouvelle va surgir dont l’annonce seule fait tressaillir le monde.

« Mais quoi ! tout disparait. Un brouillard intense et nauséabond enveloppe la terre et semble présager à l’humanité une destruction complète. Qu’est-ce ?… C’est… C’est… Ah ! debout, peuples !… C’est la guerre… l’horizon s’illumine ; c’est le canon qui vomit la mort et projette dans l’obscurité ses sinistres lueurs ; la terre tremble ; c’est le choc des hommes succédant