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conforme à la sécurité française, la seule aussi qui eût permis à l’Europe démocratique un développement pacifique. Mais si la droite l’applaudissait, c’était surtout pour son hostilité à l’unité italienne, pour son opinion favorable au pouvoir temporel, en un mot, pour l’inspiration décidément conservatrice de sa politique. Et les libéraux, des républicains même, se retrouvaient, comme en 1859, contre lui, avec l’Empereur. Ils sentaient vaguement le danger ; ils comprenaient qu’une prépondérance trop grande, prise par la Prusse, serait pour la France une humiliation, si elle n’était compensée par un agrandissement. Mais ils se flattaient vaguement de l’idée que la Prusse n’écraserait ni facilement, ni complètement les armées autrichiennes, et que l’arbitrage nécessaire de la France s’imposerait à tous pour son plus grand profit. Eux aussi, l’idée des frontières naturelles les hantait. Eux aussi, ils avaient l’esprit pourri de nationalisme et de légende.

Seuls, à cette heure, tandis que les journaux libéraux faisaient rage contre l’Autriche, tandis que l’Opinion Nationale célébrait le nouveau Richelieu qu’était M. de Bismarck, et que le Siècle dépêchait ses correspondants, MM. de Vilbord et Charles Floquet, aux armées prussiennes et italiennes, tandis que l’on parlait couramment d’une intervention militaire de la France en faveur de la Prusse, seuls, les socialistes affirmèrent hautement la nécessité de la paix, et dénoncèrent tout ce que la politique belliqueuse contenait de danger pour la nationalité française et la démocratie européenne. Nous retracerons plus loin d’ensemble le mouvement républicain et socialiste de 1864 à 1867 ; nous dirons l’évolution des « Internationaux » ; mais il faut ici, à sa date, en opposition à la confusion bourgeoise, rappeler ce que fut la première protestation socialiste et ouvrière contre la guerre. Elle n’eut pas sans doute, sur l’heure, le retentissement du discours de Thiers ; mais elle fut l’expression de la pensée de groupements déjà nombreux ; et elle a, en tous cas, dans l’histoire des idées, une bien autre signification.

C’est dans la Rive Gauche, fondée par Charles Longuet, Aimé Cournet et Robert Luzarche, à la fin de novembre 1864, et dans le Courrier Français, repris par Vermorel et Vallès en mai 1866, qu’on trouvera l’écho de la protestation socialiste.

Protestation contre l’absurdité de la guerre, d’abord, contre ses horreurs : la simple et nette protestation humaine contre l’entre-tuerie des hommes ! Comme firent souvent depuis les socialistes ou les syndicalistes de toutes écoles, ils reproduisent les passages des philosophes, des littérateurs, des économistes, qui stigmatisent cette monstruosité, et ils appellent de leurs vœux, le désarmement général. Guillaume Ier et François-Joseph veulent se battre ; qu’on les fasse donc battre en champ clos. Que les peuples ne se laissent plus conduire à la boucherie. L’idée de la « grève des réservistes » ne date point, on va le voir, des dernières années. Le 10 juin 1866, l’article de tête du Courrier Français, article signé de Vermorel, est intitulé « La grève des peuples contre la guerre ». Les peuples, démontre l’auteur, ne veulent