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responsables. « Le peuple français, concluait-elle, entouré d’États libres initiés par lui à la liberté, a trop de fierté de son passé, pour qu’on le traite en interdit et qu’on le déclare incapable ou indigne de porter lui-même le glorieux fardeau de ses destinées ». L’amendement fut repoussé.

C’est alors que quarante-cinq membres de la majorité proposèrent de leur côté l’amendement suivant, qui devait attester la rupture, depuis longtemps pressentie, entre la droite outrancière de l’impérialisme et certains hommes soucieux de progrès.

« La stabilité, disait l’amendement, n’a rien d’incompatible avec le sage progrès de nos institutions. La France, fermement attachée a la dynastie qui lui garantit l’ordre, ne l’est pas moins à la liberté qu’elle considère comme nécessaire à l’accomplissement de ses destinées. Aussi le Corps Législatif croit-il aujourd’hui être l’interprète du sentiment public en vous apportant au pied du trône le vœu que Votre Majesté donne au grand acte de 1860 les développements qu’il comporte. Une expérience de cinq années nous parait en avoir démontré la convenance et l’opportunité. La nation, plus intimement associée par votre libérale initiative à la conduite des affaires, envisagera l’avenir avec une entière confiance ». Ce langage humble et quémandeur était encore trop hardi ; malgré un discours d’Ollivier, qui demandait aux quarante-cinq la permission de se confondre dans leurs rangs, l’amendement n’obtint que 63 voix. Jamais cependant la minorité n’avait atteint pareil chiffre (19 mars 66). Le 20 mars, un amendement des quarante-cinq sur la presse obtenait 65 voix.

L’Empereur, naguère, avait cru habile d’appeler les partis et surtout les partis d’opposition, à prendre leur part de responsabilité dans sa politique extérieure ; ils réclamaient désormais une part du pouvoir. Comme son apologiste et porte-parole Rouher, Napoléon III voyait sans doute « avec tristesse et douleur, discuter après quatorze ans d’un règne prospère, les bases sur lesquelles le peuple avait assis la prospérité de la dynastie et du pays » — « J’ai fortifié la nation, lui faisait dire toujours le même Rouher dans la séance du 19 mars, où se discutait l’amendement des quarante-cinq, je lui ai donné l’ordre, la sécurité, j’ai rajeuni sa gloire, étendu ses frontières, agrandi son territoire ; j’ai agi dans l’intérêt de la France, de la santé, de la vie du peuple entier ». Mais, encore une fois, la majorité parlementaire n’avait plus confiance, et bientôt la défiance allait s’étendre d’elle au pays.

En cette fin d’avril 1866, alors que rien ne semblait directement menacer l’Empire, et que les velléités de parlementarisme se trouvaient refoulés par l’apologie pompeuse et acclamée du régime autoritaire, une inquiétude vague cependant montait aux cœurs. On pressentait ce qui se préparait en Allemagne ; on observait avec attention et parmi les libéraux, dans le peuple, souvent avec sympathie la fermeté et la promptitude des résolutions prussiennes ; le souvenir de Plombières hantait les esprits, l’entrevue de Biarritz apparaissait comme son pendant ; l’Empereur avait dû préparer avec Bismarck un