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encore, en avril, de critiquer cette convention, de la dénoncer comme imprudente et dangereuse ?

Or, depuis l’ouverture de la question des duchés, c’était dans cette question même, dans les complications diplomatiques qui en pouvaient naître, que Napoléon III cherchait l’occasion de réaliser son plan italien. Dès le mois de décembre 1863, lorsque son agent Fleury venait offrir au roi de Prusse « plus même qu’il ne lui plaisait », la Vénétie devait être pour l’Italie le prix de la complicité française dans les desseins prussiens. Plus tard, en avril 1864, lorsque l’Angleterre pressait la France d’intervenir en faveur du Danemark, l’Empereur répondait « qu’il ne pouvait soutenir la cause des nationalités en Vénétie, et la combattre dans les duchés ». Et Rouher disait encore que s’il intervenait « il aurait souci de la Vénétie plus que du Danemark ». Les bonapartistes libéraux, les hommes du Siècle et de l’Opinion Nationale poussaient dès alors aux interventions en faveur de l’Italie. Rome demeurait en 1865, comme en 1860, le pivot de notre politique.

Mais comment encore une fois la question vénitienne allait-elle pouvoir être rattachée à la question des duchés ? — Précisément par la querelle qu’on attendait, qui surgissait déjà entre les deux puissances allemandes, L’Autriche, menacée, obligée de chercher des appuis, rétrocéderait la Vénétie comme prix d’une alliance ou d’une neutralité ; ou bien l’Italie, alliée à la Prusse, la lui arracherait. Lors de la première tension, de juin à août 1865, des négociations eurent lieu entre Rome et Berlin sous les auspices des Tuileries ; une alliance italo-prussienne fut ébauchée ; mais Guillaume Ier préféra retarder la guerre et l’Autriche intimidée consentit à traiter. Ç’avait été alors la convention de Gastein (août 1865). Et il est bien permis de penser que la protestation solennelle, que M. Drouin de Lhuys lança contre cette convention, fut moins dictée par le souci même du principe des nationalités que par le dépit d’avoir échoué dans sa solution italienne et de voir la Prusse ralliée à l’Autriche.

Chacun pourtant le sentait : la crise n’était pas fermée. La convention de Gastein n’était qu’un replâtrage. Les États secondaires d’Allemagne réunis à Francfort protestaient contre l’annexion des duchés ; et seule la fidélité de l’Autriche à l’alliance prussienne retardait la lutte. Mais cette lutte était nécessaire pour la réalisation du plan bismarckien ; elle était indispensable pour que fût affirmée enfin la prépondérance prussienne. D’ores et déjà, elle était résolue à Berlin.

Ce furent une fois encore les préoccupations italiennes de Napoléon III qui en précipitèrent l’explosion. La grande colère du gouvernement français s’était vite apaisée. Quelques jours à peine après la solennelle protestation de Drouin de Lhuys, l’Empereur avait recommencé de faire des avances à la Prusse. Elle demeurait encore pour lui la puissance révolutionnaire du continent, celle avec laquelle il pensait pouvoir remanier les traités de 1815,