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pendant : la Kleinstaaterei, « toute la petite Étaterie », si l’on peut ainsi traduire, s’était trop souvent opposée déjà aux ambitions prussiennes ; il ne fallait point sottement la renforcer. Proclamer duc Augustenbourg, ce n’eût certes pas été travailler pour le roi de Prusse. Bismarck décida donc que ce dernier devait prendre pour lui les duchés. Mais il eut l’habileté d’entraîner avec lui la protectrice traditionnelle des petits États, l’Autriche. Il suffit de faire peur au gouvernement autrichien. Bismarck lui représenta que le mouvement patriotique allait avoir conséquence en Allemagne une poussée libérale, un nouveau mouvement révolutionnaire et il le décida à substituer une action en commun avec lui à celle de la Diète germanique. En février 1864, les deux puissances sommèrent le Danemark de donner au Schleswig une constitution indépendante et, sur son refus, occupèrent militairement les duchés.

Mais qu’allait faire l’Europe, garante du protocole de 1852 ? — Dès avant l’entreprise, M. de Bismarck s’était chargé de la neutraliser. L’affaire de Pologne lui avait assuré la neutralité russe. L’Angleterre, un moment, poussée par les principautés allemandes, tint pendant quelques semaines en suspens (de mai à juin) la politique de Bismarck ; elle l’obligea même par cette politique à se déclarer pour la candidature d’Augustenbourg. Mais elle échoua à régler définitivement la question. Quant à la France, elle restait neutre et plutôt au fond sympathique à la Prusse. L’Empereur s’attardait à chercher le moyen d’affirmer dans les duchés sa politique des nationalités et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais il se perdait dans les difficultés que faisait naître là le mélange des races : et il n’eût point été fâché peut-être d’obtenir dès alors par des complaisances envers la Prusse la promesse d’une aide pour résoudre un jour la question italienne.

Quoi qu’il en soit des mobiles français, Bismarck, profitant de cette situation, poussait hardiment sa pointe : en août 1864, les deux puissances recevaient du Danemark les duchés conquis ; elles devaient les remettre à Augustenbourg ; mais en février 1865, la Prusse imposait à ce dernier de telles conditions (entrée dans le Zollverein, armée incorporée dans l’armée prussienne, cession de Kiel), que celui-ci refusait et que Bismarck proposait purement et simplement l’annexion à la Prusse (février 1865). Un moment l’Autriche parut résister. On put croire la lutte imminente entre les deux puissances allemandes. A Berlin, on ne parlait que d’armements ; à Paris, de Goltz cherchait à s’assurer de l’amitié française contre l’Autriche, et, pour l’Italie toujours, le gouvernement français paraissait disposé à la laisser marcher. Le roi Guillaume cependant préféra la paix. Le 14 août, par la convention de Gastein, la Prusse et l’Autriche se partageaient la possession des duchés. L’Autriche prenait le Holstein, la Prusse le Schleswig.

Ce fut pour les libéraux français qui soutenaient la Prusse en haine de l’Autriche, et pour le gouvernement impérial qui cherchait dans l’alliance prussienne un moyen de faire chanter l’Autriche en Italie, une première et